Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/227

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Ce Congrès de Paris, si brillant, d’où la Russie sortait abaissée, c’était le triomphe du second Empire. La France retrouvait enfin ce qu’elle avait tant désiré de la gloire, la présidence des nations, un rôle directeur et protecteur. Le Congrès de Paris effaçait déjà le souvenir de celui de Vienne. Ne servirait-il pas aussi à en effacer les traces sur la carte d’Europe ? Sur un point, l’instinct du peuple français ne se trompait pas. Le Congrès de Paris était la préface d’événements encore plus décisifs. Mais lesquels ? C’est là que l’illusion commençait. Le tsarisme vaincu, la voie était libre. La justice internationale et le droit des peuples n’étaient plus une chimère. Aussi, plus encore qu’au 2 décembre, la France s’applaudit du choix qu’elle avait fait, du maître qu’elle s’était donné, des sept millions de suffrages par lesquels elle avait proclamé le dictateur qui ne la décevait pas. Les fêtes du Congrès furent ses fêtes. Les bals et les dîners des diplomates furent les siens. Elle était si loin de se douter que le nom de Manteuffel ne tarderait pas à prendre une signification sinistre ! Elle était si loin de découvrir le ver de son fruit !

L’enchantement n’était pas près de finir encore. En 1857, lorsque Béranger mourut, ce fut un deuil national, une foule immense suivit ses restes. Dix ans plus tôt, cet enterrement, comme celui du général Lamarque, eût été l’occasion de désordres, de manifestations tumultueuses contre la Monarchie. Mais, en 1857, il y avait une popularité au moins égale à celle du chansonnier c’était la popularité de Napoléon III. L’empereur savait ce que son trône devait au poète du peuple, au chantre de la religion de Sainte-Hélène. Il ne voulut pas seulement se charger des funérailles. Comme le dit le lendemain un article du Moniteur il y présida par la pensée. Cet article, Sainte-Beuve lui-même avait été chargé de l’écrire. Avec toutes les subtilités de son esprit, il y exprima la reconnaissance officielle de l’Empire pour les immenses services rendus à la cause napoléonienne par Béranger. Sainte-Beuve le félicitait d’avoir vu, avant de mourir, la première revanche de Waterloo, les traités de 1815 à demi déchirés, tous ses vœux, ceux de la démocratie libérale, comblés ou près de l’être.