Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/233

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canal, la base de la puissance maritime que se constituerait l’empire allemand. De plus, la guerre des Duchés apportait à la Prusse le prétexte d’une querelle avec l’Autriche et l’occasion de s’emparer de l’Allemagne. L’abstention en 1864 a été payée cher par la France et par l’Europe. L’abstention de 1866, « l’année décisive », erreur encore plus funeste, a découlé de la même cause.

En 1866 comme en 1864, Napoléon III était le prisonnier de ses principes. Il était aussi le prisonnier de son œuvre italienne : Bismarck avait su lier, pour la circonstance, la cause de la Prusse à la cause de la jeune Italie. Par là, il désarmait et il enchaînait le vainqueur de Magenta, le libérateur de la nation italienne. D’ailleurs, Bismarck devait refuser cyniquement, après Sadowa, de compromettre ses succès et de combattre une minute de plus pour les Italiens, désireux d’achever leur unité encore imparfaite en conquérant la Vénétie. L’Italie n’était qu’une carte dans le jeu de Bismarck. Il s’en était servi avec adresse contre l’Autriche et pour neutraliser la France. Mais, à Paris, on s’y trompait. Est-ce que la Prusse ne représentait pas l’unité allemande, l’avenir, le progrès, l’idée de nationalité ? Selon la doctrine démocratique et napoléonienne, la nationalité allemande avait le même droit que les autres à la vie et au libre développement. Quant à ses ennemis, c’était cette Autriche absolutiste, ces vieilles petites Cours allemandes, images de l’obscurantisme et de la réaction. En vain, dans ses avertissements prophétiques au Corps Législatif, Thiers avait-il montré « ce qui se préparait dans le centre de l’Europe ». En vain avait-il pris la défense de l’équilibre européen qu’il appelait si justement « l’indépendance de l’Europe », elle-même inséparable de l’indépendance des États allemands. En vain faisait-il entrevoir le danger d’une Allemagne formant à l’avenir « un tout unique », lorsque la Prusse aurait absorbé les États de la Confédération germanique après les avoir battus, de même qu’elle admettrait l’Autriche « comme protégée dans le nouvel ordre de choses », après l’avoir humiliée.

Thiers n’avait pas toujours pensé ainsi. Il avait même autrefois, contre Louis-Philippe et contre Guizot, soutenu des idées exactement contraires. L’expérience, et aussi l’esprit d’opposition l’avaient amené à reprendre ces vieilles maximes de la