Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/257

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républicain très farouche. Surtout, ce n’était pas un républicain doctrinaire. C’est ce qui lui permit de voir le point faible de la République et de la réhabiliter. Peu importent, à cet égard, les sentiments auxquels il a obéi en la voulant obstinément. Comme toujours, ces sentiments étaient complexes. Sans doute, il avait l’ambition de finir sa vie par un grand rôle et sur une sorte de stathoudérat parlementaire. Sa grande objection, « trois candidats pour un trône », n'était pas bien sincère puisque la « fusion », la réconciliation du comte de Chambord et du petit-fils de Louis-Philippe, ne changea rien à ses idées. Ce qui survivait en lui, à coup sûr, c’était la haine de sa génération pour les Bourbons de la branche ainée. Cette haine fut perspicace. Parce qu’il était un homme de 1830, Thiers sut trouver en 1871 le procédé le plus propre à empêcher une troisième Restauration.

Le soin avec lequel Thiers s’appliquait à rassurer la France sur le caractère des institutions républicaines est sensible dès ses premiers actes et dès ses premiers discours. Il fait la paix, et il la fait même trop vite, avec une précipitation qui désespère des témoins convaincus, comme l’était le colonel Laussedat, membre de la commission de délimitation de la nouvelle frontière, qu’avec un peu de fermeté et de patience on pouvait obtenir sur certains points des conditions meilleures. Mais il ne faut pas que la République soit accusée de prolonger la guerre. Il faut que la République ait conclu la paix et que le Président, après avoir vaincu la Commune et traité avec la Prusse, puisse dire au pays que la France est « pacifiée au dedans et au dehors », selon la promesse du premier message, celui du 17 février. Dès lors, le régime républicain n’effraie plus. Le vent souffle dans ses voiles. Aux élections complémentaires de juillet, la débâcle des conservateurs commence. Thiers et Grévy ont eu raison.

Dans un livre consacré à la défense et à l’apologie de sa politique, Vingt mois de présidence, Thiers établit qu’en France, sur une dizaine de millions d’électeurs, il n’y avait pas plus d’un million et demi de républicains purs, de républicains de principe. Quinze cent mille voix : il n’y en avait pas eu davantage en 1848 pour Cavaignac contre Louis-Napoléon Bonaparte. Quinze cent mille non : le chiffre n’avait pas changé au