Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/274

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fut connue, une tempête s’éleva contre Jules Ferry. « Tout débat est fini entre nous », dit l’âpre voix de Clemenceau, qui s’éleva encore à la tribune de la Chambre avec les accents qu’on devait lui retrouver trente ans plus tard. « Nous ne pouvons plus discuter avec vous les grands intérêts de la patrie ». La colère de Paris fut plus violente cent fois que celle de la Chambre. Il y avait longtemps qu’on n’avait vu, sur un homme politique, s’amasser une haine aussi tumultueuse. Un jour, reconnu dans sa voiture, Jules Ferry fut entouré par la foule, insulté, maltraité. Jamais les plus impopulaires des réactionnaires du 16 mai n’avaient subi de ces outrages. C’est que le « tonkinois », qui détournait les yeux de la « trouée des Vosges », avaient commis le grand blasphème.

À partir de ce moment, et pour plusieurs années, la République chancela sur ses bases : cette métaphore usée s’applique avec exactitude à la situation. Les gardiens de la démocratie s’appliquaient à suivre la ligne de prudence que, depuis les débuts du régime, ils s’étaient tracée : quand Bismarck, par l’affaire Schnœbelé, chercha de nouveau querelle à la France, Jules Grévy mit tout son sang-froid à la résoudre en « grand avoué ». Mais il semblait que la fortune fût lasse. Rien ne réussissait plus. L’opinion publique ne sut aucun gré au président d’avoir évité la guerre. Ce n’était pas tout. Jamais, entre modérés et radicaux, le parti républicain n’avait été aussi divisé. Aux élections de 1885, les monarchistes avaient relevé la tête. Des scandales, des « affaires », qui atteignaient Jules Grévy lui-même dans la personne de son gendre, aggravaient le trouble moral, et un jour vint où la Chambre dut sommer le président de se démettre. Cependant une popularité foudroyante se fixait sur un ministre que les républicains extrêmes avaient inventé.

Le général Boulanger avait commencé par être le cauchemar des conservateurs de droite avant d’être leur allié. Il avait pour premier lieutenant un admirateur de Gambetta, sous les auspices duquel la Ligue des Patriotes avait été fondée : Paul Déroulède. Henri Rochefort, l’adversaire de l’Empire, le condamné de la Commune, le grand journaliste, voix de Paris, était aussi de la suite du général, il était l’animateur de la cause. Ce qu’il y avait d’impur, pour les vieux républicains,