Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/276

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vote de la province. L’idée de la revanche, qui le rendait populaire à Paris, le condamnait dans les départements. C’était la même situation qu’en 1871, lorsque Paris républicain voulait poursuivre la guerre et que la province conservatrice demandait la paix. Seulement, cette fois, la République, parce qu’elle était devenue pacifique, fut sauvée par les ruraux.

Ce serait une erreur de croire que le boulangisme n’ait été qu’un épisode bruyant. Il a marqué le commencement d’une période nouvelle dans l’histoire de la République. Les hommes les plus perspicaces du régime en avaient bien compris le sens et la leçon. C’est ce que laisse lire, entre les lignes de ses Souvenirs, M. de Freycinet, qui, témoin de nos révolutions (il avait vingt ans en 1848), en percevait le rythme plus distinctement qu’un autre. Un retour pur et simple à la politique de Jules Grévy et de Jules Ferry était désormais impossible. Il fallait trouver autre chose et donner des satisfactions au patriotisme.

Bismarck, de son côté, ne s’était pas mépris sur le sens du mouvement. Depuis la chute de Ferry, il était fixé. Il ne comptait plus voir une France oublieuse, résignée, docile, se prêter aux desseins de la politique allemande. Il avait senti ce que l’esprit national français avait d’irréductible. Si l’on pouvait agir sur la France, ce ne serait plus que par l’intimidation. La France refusant d’être l’alliée et la subordonnée de l’Allemagne, il fallait que l’Allemagne fût prête à l’écraser. Alors Bismarck organisa la levée en masse. Il fit voter le Septennat militaire après avoir dissous le Reichstag qui le refusait : ce n’était que le début des armements à outrance. Sans prendre de bon cœur son parti de l’alliance franco-russe, il la regarda comme un fait inévitable. Par une véritable provocation préméditée à l’adresse de la Russie, et pour avoir au moins l’air d’avoir voulu ce qu’il ne pouvait empêcher, il publia le texte du traité de l’alliance conclue par lui avec l’Autriche en 1879. Lorsque Guillaume II, devenu empereur, eut congédié Bismarck, le fondateur de l’unité allemande lui léguait une situation nouvelle.