Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/290

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« place au soleil ». Et pour cela, il fallait supplanter les puissances anciennement constituées, la France et l’Angleterre surtout, assises, par droit d’héritage, dans tous ces lieux favorisés qu’à travers les âges se sont toujours disputés les Européens. L’Allemagne était grande. Elle était forte. Elle avait travaillé tandis que les autres se reposaient. Elle se disait donc que son tour était arrivé. Ce qui ne lui était pas accordé parce qu’elle était la dernière venue, elle devait le prendre. Une loi historique le voulait. Sur les mers, dans la Méditerranée, dans cet Orient où une convoitise et une nostalgie n’ont cessé d’attirer les peuples, l’Allemagne devait trouver la large part, la place éminente qui revenaient à son pouvoir.

Voilà pourquoi il était vain d’attendre que le peuple allemand pensât comme nous. Il formait un monde à part qui, depuis 1871, avait eu son évolution particulière, une sorte d’hommes à l’esprit desquels les choses ne se peignaient pas comme à l’esprit du reste des humains, et qui, aux notions élémentaires de la liberté, du droit, du devoir, du juste et de l’injuste, donnaient un sens différent. Quelle erreur avait été celle du dix-neuvième siècle, quand il avait cru, sur la foi du principe des nationalités, que l’unification de l’Allemagne, en simplifiant le système de l’Europe, abolirait les anciennes causes de conflits et préparerait l’harmonie du monde par la naissance d’une nation égale et semblable aux autres nations ! Battre l’Allemagne, il n’y avait plus d’autre ressource pour la France. Il n’y avait plus d’autre moyen de rendre le monde libre et juste, et même habitable seulement.

On s’était imaginé que tout finissait et tout ne faisait que recommencer. La démocratie française croyait s’être affranchie du passé. Et pendant ces longues, lourdes années de guerre, il a fallu se battre pour l’évêché de Verdun comme sous Henri II, aux Dunes et à Lens comme sous Louis XIV. Des profondeurs du temps, toute notre histoire surgissait. Et c’est aussi ce patrimoine historique, c’est ce riche héritage qui ont assuré le salut de la France. Vieille nation aux fondements solides, elle a pu puiser dans un capital formé par