Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/313

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les rois mérovingiens eurent à lutter. Les « hommes libres » avaient l’habitude de contrôler le chef par leurs assemblées. La discipline civile de Rome leur était odieuse. Il fut difficile de les y plier et, en définitive, ils furent conquis plus que conquérants. Ce qu’on a dit du partage des terres entre les guerriers francs n’est que fables et Fustel de Coulanges a démontré que la propriété gallo-romaine n’avait changé ni de caractère ni de mains.

Comment se fait-il donc que l’œuvre de Clovis n’ait pas été plus durable, que la France n’ait pas été fondée dès ce moment-là ? Peut-être cette Monarchie franque avait-elle réussi trop vite et lui manquait-il d’être l’effet de la patience et du temps. Mais elle avait en elle-même un vice que rien ne put corriger. L’usage des Francs était que le domaine royal fût partagé, à l’exclusion des filles, entre les fils du roi défunt. Appliquée à la Gaule et aux conquêtes si récentes de Clovis, cette règle barbare et grossière était encore plus absurde. Elle fut pourtant observée. Sur ce point, la coutume franque ne céda pas. Les quatre fils de Clovis se partagèrent sa succession. Il faudra attendre les Capétiens pour que monarchie et unité deviennent synonymes.

L’idée de l’unité, l’idée de l’État, idée romaine, subsistait dans les esprits. On s’imagina que les quatre fils de Clovis vivraient d’accord pour continuer la tâche de leur père. Eux-mêmes le crurent sans doute. C’était contraire à la nature des choses. Le partage entraînait les divisions. De ce moment date, entre l’Austrasie et la Neustrie, une funeste opposition dans laquelle les peuples n’étaient pour rien puisque c’était l’opposition de Paris et de Metz, de Rouen et de Verdun. Conséquence déplorable d’une erreur politique. Cette erreur ne doit pas faire oublier que la royauté mérovingienne, toute imparfaite qu’elle était, a mieux valu que le chaos. Au berceau même de la puissance romaine, en Italie, l’équivalent des Mérovingiens a manqué après la chute de l’Empire (malgré Théodoric dont l’œuvre ne fut pas continuée), et l’Italie, cassée en morceaux, est restée treize cents ans sans retrouver son unité.

Tel est le service que nous ont rendu les Clovis, les Clotaire, les Chilpéric. Après eux, les Carolingiens reculeront le moment de la grande crise, celle du morcellement féodal. Pendant ces