Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/364

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Bretagne, avait échoué. Alors il acheva ses apprêts, mit au point son armée et, la mer étant libre, débarqua dans le Cotentin.

Ce fut l’invasion d’un pays sans défense. D’un trait, l’armée anglaise traversa la Normandie, pillant les villes ouvertes. Elle remonta la Seine, menaça Paris. Philippe VI, pendant ce temps, inquiétait l’ennemi du côté de la Guyenne. Il remonta en hâte avec son armée et son approche détermina Édouard, qui se sentait bien en l’air, exposé à une aventure, à s’en aller au plus vite vers le Nord. Plusieurs fois sa retraite faillit être coupée, tant qu’il dut se résoudre à faire tête, croyant tout perdu. En somme, il redoutait l’armée française, il ne se fiait pas assez à la supériorité de ses moyens. Il avait pourtant l’avantage de la tactique et du matériel. Le calcul et l’organisation l’emportèrent sur l’imprudence d’une vaine bravoure dans la fatale journée de Crécy : notre principale force militaire y fut détruite (1346). Édouard III put assiéger et prendre Calais. Pendant deux siècles, l’Angleterre gardera cette « tête de pont ».

Édouard III ne poursuivit pas ses avantages. La guerre coûtait cher, les armées étaient peu nombreuses, ce qui rendait prudent. Une trêve, plusieurs fois renouvelée, fut signée avec la France. Elle durait encore lorsque Philippe VI mourut en 1350. La défaite de Crécy, la première grande défaite de la royauté française, avait eu un effet détestable. Elle tombait sur un mauvais terrain. Un historien a pu dire qu’à l’avènement de Jean le Bon « la trahison était partout ». L’obéissance, nulle part. Déjà, un traître, le comte d’Harcourt, avait appelé Édouard III dans le Cotentin : l’Anglais trouvait des intelligences ailleurs qu’en Bretagne. Le roi Jean n’était sûr de personne, des féodaux moins que des autres. Il essaya de s’attacher la noblesse par le sentiment de l’honneur, exploita la mode, créa un ordre de chevalerie : ce qu’on prend pour des fantaisies moyenâgeuses avait un sens politique. Ce Jean, qu’on représente comme un étourdi, un agité romanesque et glorieux, se rendait compte de la situation. Son autorité était compromise. Il n’hésita pas à faire décapiter sans jugement un connétable, le comte d’Eu, qui avait vendu aux Anglais la place de Guines. Mais il allait trouver un traître dans sa propre famille. Charles