Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/372

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ville après ville, les provinces du Sud-Ouest étaient délivrées. Charles V eut d’ailleurs soin d’entretenir leur patriotisme par l’octroi de nombreux privilèges. Il usa en particulier de l’anoblissement, l’étendit et le facilita, car il va sans dire que la noblesse n’a jamais pu se recruter que dans la roture, comme le militaire se recrute dans le civil.

Édouard III, découragé, finit par accepter des pourparlers de paix. Charles V voulait l’évacuation complète du territoire, sans oublier Calais. L’Angleterre refusa et la guerre reprit. Le roi de France avait profité de cette trêve pour réaliser son grand projet : la création d’une marine. On chercherait en vain ailleurs que dans des ouvrages spéciaux des renseignements sur cette partie essentielle de l’œuvre de Charles le Sage. « Pour avoir de l’argent, il usa de tous les moyens, menaça, flatta les États Généraux, conduisit lui-même les députés visiter les navires et établissements pour les intéresser au développement de sa marine ; il eut les fonds qu’il voulut et les employa avec une stricte économie, un sens précis de l’objectif à atteindre », dit M. Tramond dans son Manuel d’histoire maritime de la France. Peu de lignes éclairent mieux sur le caractère éternel de l’art de gouverner. Charles le Sage, pour donner aux Français le sens de la mer, n’a pas procédé autrement qu’on ne ferait de nos jours.

Si Charles V avait vécu dix ans de plus, il est probable que Jeanne d’Arc eût été inutile : il n’y aurait plus eu d’Anglais en France. À la fin de son règne, les rôles étaient renversés. Nos escadres, commandées par l’amiral Jean de Vienne, émule sur mer de Duguesclin, ravageaient librement les côtes anglaises. Nos alliés espagnols entraient jusque dans la Tamise. En France, les Anglais ne possédaient plus que Bayonne, Bordeaux et Calais. Leur expulsion complète n’était plus qu’une question de temps car leurs affaires intérieures allaient mal. Édouard III et le prince Noir étaient morts. Richard II avait treize ans et sa minorité devait être tumultueuse : déjà Wiclef avait annoncé la Réforme, le commerce souffrait et une Jacquerie, plus terrible que celle qu’on avait vue chez nous, allait venir. Mais il semblait que la fortune fût lasse d’être fidèle à la France comme elle l’avait été pendant trois cents ans. Par la mort de Charles le Sage (1380), nous allions retomber dans