Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/395

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nature. Une catastrophe l’attendait. Cependant, jusqu’à nos jours, de graves historiens ont reproché à Louis XI d’avoir été cruel pour d’illustres personnages, d’avoir versé du sang. Comme la foule, ils se soucient peu des cadavres que le Téméraire avait entassés, des villes qu’il avait détruites, des populations qu’il avait anéanties. L’histoire mélodrame s’attendrit sur La Balue, Saint-Pol et Nemours. Elle passe légèrement sur le sac de Liège. Elle ne compte pas les milliers d’humbles vies humaines que Louis XI a épargnées et celles qu’il a protégées en donnant à la France de l’ordre et des frontières.

Ce règne, dont la vraie gloire n’a été vue qu’après bien longtemps, assurait une longue période de solidité et de prospérité. On frémit quand on pense à ce qui fût arrivé si Louis XI était mort quelques années plus tôt, avant que la grande féodalité eût perdu la partie. En 1483, son fils Charles VIII n’avait que treize ans. Une minorité recommençait, mais dans des conditions aussi bonnes que possible. L’opposition des princes avait cessé d’être redoutable : une femme en vint à bout. Louis XI avait désigné pour la régence sa fille Anne de Beaujeu, confidente de sa politique et de ses pensées. Régence aussi heureuse et aussi habile que celle de Blanche de Castille. Aux grands qui s’étaient encore soulevés, le duc d’Orléans à leur tête, Anne sacrifia les hommes les plus impopulaires de l’entourage de son père, mais elle préserva son œuvre. Les grands, pour porter un coup à la Monarchie, réclamaient les États Généraux. La régente les convoqua plus largement qu’ils ne l’avaient jamais été, non seulement toutes les provinces, mais toutes les classes, les paysans même, une vraie représentation nationale qui vint, munie de « cahiers », comme elle viendra en 1789. On entendit tout, dans cette assemblée, des demandes de réformes administratives, qui d’ailleurs ne furent pas perdues, et des théories politiques, jusqu’à celle de la souveraineté du peuple que développa Philippe Pot. Comme l’avait calculé la régente, l’espoir des princes fut trompé. Les États de 1484, réunis par prudence à Tours et non à Paris, ne trouvèrent point leur Étienne Marcel. Alors les féodaux déçus prirent les armes. D’avance leur cause était perdue et l’opinion publique jugea bien en appelant leur soulèvement « la guerre folle ». Elle eut ce résultat que le seul des princes qui restât puissant, le duc de Bretagne, fut vaincu.