Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/473

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de toutes sortes, cet argent aussi, sans lequel, disait Colbert, un État n’est pas vraiment fort. Le moment de passer à l’action extérieure, c’est-à-dire d’achever la France, était venu.

Pour l’intelligence de ce qui va suivre, et qui est fort compliqué, on doit se représenter ce que l’Europe était alors. La puissance, que tout le monde avait crainte jusque-là, c’était l’Espagne. La Hollande, qui s’était affranchie de la domination espagnole, en souffrait avec inquiétude le voisinage dans le reste des Pays-Bas. Comme ce voisinage nous était également pénible, l’alliance franco-hollandaise se nouait naturellement. D’autre part, l’Angleterre et la Hollande, nations maritimes et commerçantes, rivalisaient entre elles et aussi avec l’Espagne, la grande puissance coloniale de ce temps-là. Tant que la France n’eut ni marine, ni commerce, ses relations avec l’Angleterre et la Hollande furent amicales ou aisées. Tout changea lorsque, sous l’impulsion de Colbert, la France devint un concurrent commercial, lorsqu’une guerre de tarifs commença. Tout changea encore plus, tout s’aigrit lorsque, l’armée française marchant à la conquête de la Flandre espagnole, les Hollandais virent qu’ils auraient pour voisin le puissant État français devenu plus redoutable pour eux que l’Espagne lointaine.

L’achèvement de la France, la réalisation du grand dessein national si souvent compromis, si longtemps entravé, repris par Richelieu, demandait pour réussir, et ne pas coûter trop cher, que l’Angleterre au moins restât neutre. Chose difficile : il n’était ni dans ses traditions, ni dans ses intérêts de nous voir avancer en Flandre, du côté d’Ostende et d’Anvers, tandis que notre pavillon grandissait sur mer. Deux circonstances favorables permirent à la politique française d’avoir pendant plusieurs années l’Angleterre dans son jeu. D’abord la rivalité anglo-hollandaise, ensuite la restauration des Stuarts, qui s’était accomplie avec l’appui de la France : la France tenait Charles II, dont le trône était fragile, par l’aide qu’elle lui donnait et par l’inquiétude des « restes de la faction de Cromwell » que Louis XIV, dans ses Mémoires, se vante, avec le réalisme du siècle, d’avoir entretenu en même temps que l’autre parti, celui qui voulait ramener l’Angleterre au catholicisme. Notre situation fut bonne et nos succès faciles aussi longtemps que