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CHAPITRE XV

LOUIS XVI ET LA NAISSANCE DE LA RÉVOLUTION


Au moment où Louis XVI, à vingt ans, devient roi, il ne faut pas seulement regarder l’état de la France. Il faut regarder l’état de l’Europe. Cette Europe est sinistre. C’est un âge de grands carnassiers. Frédéric de Prusse et Catherine de Russie, une Allemande, ont commencé le partage de la Pologne auquel ils ont associé l’Autriche. L’Angleterre, digérant ses conquêtes ne pense qu’aux intérêts de son commerce et à garantir contre les concurrences sa suprématie maritime. Tel était le monde lorsque la plus grande partie des Français rêvait d’une rénovation de l’humanité et d’un âge d’or.

Les différences des doctrines et des écoles n’empêchaient pas qu’il y eût en France un fonds commun d’aspirations et d’illusions. Il en est ainsi à toutes les époques, et le jeune roi n’eût pas été de la sienne s’il n’en avait, dans une certaine mesure, partagé les idées. On s’est souvent demandé ce qui serait arrivé si le duc de Bourgogne, l’élève de Fénelon, avait succédé à Louis XIV. Peut-être l’a-t-on vu sous Louis XVI. Les conceptions, d’ailleurs vagues, exprimées par le douceâtre Télémaque, qui étaient apparues aux dernières années du dix-septième siècle, mélange d’esprit traditionnel et d’esprit réformateur, celles que la Régence avait appliquées un moment avec ses conseils aristocratiques, ces conceptions s’étaient conservées dans la famille royale. Le vertueux dauphin, fils de Louis XV, y était attaché et Louis XVI avait été élevé dans ce souvenir. « Qu’ont donc fait les grands, les États de province, les Parlements, pour mériter leur déchéance ? » écrivait-il de sa main peu après son avènement, condamnant ainsi l’évolution poursuivie depuis 1660. Les mesures les moins intelligibles, à première