Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/531

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était la base de la richesse nationale, cherchait à la favoriser de diverses manières et en même temps à remédier au fléau des disettes par la liberté du commerce des blés. Là, il ne se heurta pas seulement aux intérêts, mais aux préjugés. Il fut accusé, lui, l’honnête homme, de faire sortir le grain du royaume comme Louis XV l’avait été du « pacte de famine ». Dans son programme de liberté, Turgot touchait d’ailleurs à d’autres privilèges, ceux des corporations de métiers, ce qui provoquait les colères du petit commerce. Ses préférences pour l’agriculture lui valaient aussi le ressentiment de l’industrie et de la finance. « Turgot, dit Michelet, eut contre lui les seigneurs et les épiciers. » Il faut ajouter les banquiers dont le porte-parole était Necker, un Genevois, un étranger comme Law, et qui avait comme lui une recette merveilleuse et funeste : l’emprunt, l’appel illimité au crédit.

Les inimitiés que Turgot s’était acquises, à la Cour et dans le pays, étaient celles que devait rencontrer tout ministre des Finances réformateur. Elles contribuèrent sans doute à le renverser. La vraie cause de sa chute fut d’une autre nature. Pour remplir son programme, Turgot avait besoin de la paix. Il disait que le premier coup de canon serait le signal de la banqueroute. Mais que répondait le ministre des Affaires étrangères ? En 1776, un événement considérable venait de se produire : les colonies anglaises de l’Amérique du Nord s’étaient insurgées. C’était pour la France l’occasion d’effacer les conséquences du traité de Paris, de s’affranchir et d’affranchir l’Europe des « tyrans de la mer ». Cette occasion pouvait-elle être perdue ? À cet égard, les pensées qui divisaient le gouvernement français divisent encore les historiens selon le point de vue auquel ils se placent. L’historien des finances juge que cette guerre a été funeste, parce qu’elle a en effet coûté un milliard cinq cents millions ou deux milliards et, comme Turgot l’avait annoncé, précipité la banqueroute. L’historien politique estime que le résultat à atteindre valait plus que ce risque. Ce fut l’avis de Vergennes et c’est parce qu’il l’emporta que Turgot préféra se retirer.

Nous sommes ici à la jointure des difficultés extérieures et des difficultés politiques et financières auxquelles la monarchie devait bientôt succomber. Nous avons vu se développer un état