Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/547

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bon sur le principe du vote par tête et déclaré qu’il ne s’agissait pas d’états généraux, mais d’une Assemblée Nationale où les trois ordres délibéreraient en commun. Le roi et le gouvernement ne furent pas moins déconcertés par cette nouveauté que tout, cependant, annonçait. Quant aux députés du tiers et du clergé, ils ne se doutaient pas qu’ils allaient être entraînés fort loin, puis dépassés par la force populaire en mouvement. Personne ne semblait même avoir remarqué les émeutes, souvent sanglantes, qui s’étaient produites à Paris dans l’hiver de 1788-89 et que la disette ou la crainte de la disette avaient provoquées, non plus que les incidents violents qui, en beaucoup d’endroits, avaient marqué la campagne électorale. En tout cas, la très grande imprudence du gouvernement avait été de convoquer les états à Versailles, c’est-à-dire à deux pas d’une vaste capitale où l’émeute fermentait.

Le tiers mit deux mois à remporter sa première victoire : la transformation des états en Assemblée. Il pouvait craindre une dissolution : le 20 juin, par le serment du Jeu de Paume, six cents députés jurent de ne pas se séparer avant d’avoir « établi la constitution du royaume ». Cruel embarras du gouvernement. Sans doute il a des troupes. Il peut dissoudre : Necker représente qu’on a convoqué les députés pour obtenir de l’argent et qu’on va retomber plus bas que la veille. On ne dissout pas. Le gouvernement (règlement du 23 juin) reconnaît que les impôts et les emprunts doivent être votés, admet la participation des états aux réformes législatives, mais ne cède pas sur la division des ordres. Donc il n’admet pas la transformation des états généraux en Assemblée Nationale, transformation pour laquelle se sont déjà prononcés le tiers, la majorité du clergé, quelques membres de la noblesse. Tous ces députés décident de rester en séance et, quand le marquis de Dreux-Brézé vient leur rappeler que les trois ordres doivent siéger séparément, Mirabeau répond par le mot fameux où il oppose à la volonté du roi la volonté du peuple : « Nous ne sortirons que par la force. » Provocation habile : Mirabeau sait bien que le gouvernement étranglé par la question d’argent, prisonnier de ses principes, guetté par le Parlement, son ennemi, ne peut pas renvoyer les états. Le tiers a partie gagné. Il est rejoint par le clergé au complet. Une grosse fraction de la noblesse lui