Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/60

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ensemble les membres épars. Dans cette Allemagne décomposée, chacun posséda son indépendance, put agir à sa tête sans être obligé à rien pour le bien général. Quand La Fontaine disait « Tout petit prince a ses ambassadeurs », il faisait allusion à ces principicules germaniques libres de s’allier avec toute puissance de leur choix. Nous avons vu, dans la guerre de 1914, la principauté de Liechtenstein déclarer sa neutralité et refuser d’envoyer à l’Autriche son contingent militaire. Deux cents Liechtenstein de toutes les dimensions jouissaient de la même liberté dans l’Allemagne hachée par les auteurs des traités de Westphalie. Sur le particularisme allemand, sur l’intérêt personnel, les rivalités, l’amour-propre des princes et des tribus germaniques, ils avaient fondé un système inextricable. L’Allemagne comme nation en parut étouffée pour toujours.

Ce n’était pas l’Empereur qui eût été capable de réveiller le sentiment national. Son prestige sortait des congrès de Munster et d’Osnabrück plus atteint que jamais. La maison d’Autriche n’avait pas dompté les protestants, elle avait perdu son influence sur les catholiques, elle restait soumise à l’élection avec des électeurs grandis. Et si elle parvint à garder le titre impérial jusqu’à la chute du Saint-Empire, ce fut au prix de concessions et d’abandons de pouvoir toujours plus graves à chaque scrutin. L’élection de Léopold Ier, la première qui eut lieu après la conclusion des traités, fut un véritable scandale. La France y intervint au grand jour et les envoyés du roi à Francfort, Grammont et Hugues de Lionne, au vu et au su de tous, achetèrent les électeurs qui, d’ailleurs, ne se firent pas faute de mettre leur voix à l’enchère : nous dirions dans le langage d’aujourd’hui qu’ils se comportèrent en « chéquards » sans vergogne et insatiables. Mazarin se plaignait douloureusement de leurs exigences : « Encore qu’il soit avantageux, disait-il, de laisser croire au monde qu’il y a toujours grande abondance d’argent en France, parce que cette croyance est ce qui peut le plus porter les esprits à désirer l’amitié de Sa Majesté dans un siècle intéressé, néanmoins il y a d’assez bonnes raisons pour persuader un chacun, sans discréditer Sa Majesté, de régler et modérer ses prétentions dans la conjoncture présente. » Par ces moyens, le roi de France était plus puissant dans l’Empire que l’Empereur lui-même. Grammont et Lionne