Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/600

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fait. Le ralliement des royalistes, auxquels pensait Bonaparte, serait plus facile avec ces hommes-là.

La Constitution de l’an VIII, ainsi remaniée par le Premier Consul, fut approuvée par trois millions de voix. On avait déjà soumis bien des projets de gouvernement aux électeurs : jamais une majorité si forte n’avait été obtenue. On peut donc se demander si la France, en 1789, ne s’était pas abusée sur ses désirs, si elle n’avait pas aspiré à l’autorité plus qu’à la liberté. Napoléon Bonaparte compléta le gouvernement dont il était le seul maître par des institutions qui, toutes, tendaient à maintenir la société et la propriété telles qu’elles étaient sorties de la Révolution, à conserver l’esprit de cette révolution dans les lois, mais à couler le tout dans des formes autoritaires. On eût dit que le Premier Consul avait devant les yeux l’ancien régime et la démocratie révolutionnaire pour prendre les parties fortes de l’un et supprimer les parties faibles de l’autre. La Révolution avait introduit l’élection partout, dans l’administration comme dans la magistrature et dans la police, c’est tout juste si elle ne l’avait pas introduite dans l’armée, et c’était la cause de l’anarchie dont ses gouvernements étaient morts. Bonaparte mit des préfets et des sous-préfets à la place des comités élus, c’est-à-dire qu’il rétablit et multiplia les intendants de l’ancien régime. Seulement, la Révolution ayant fait table rase des franchises et libertés d’autrefois, ainsi que des Parlements qui en étaient les gardiens, les nouveaux intendants administraient sans obstacle au nom du pouvoir central. Quant à la magistrature, Bonaparte se garda bien de lui rendre l’indépendance dont elle avait abusé sous la monarchie. Le consul Lebrun, l’ancien collaborateur de Maupeou, put lui donner d’utiles indications à cet égard. On revint à peu près au système de 1771, celui des magistrats nommés par le gouvernement, la garantie des justiciables étant l’inamovibilité des juges. Ainsi, utilisant l’expérience de la royauté et celle de la Révolution, avec les restes de l’une et de l’autre, Bonaparte composa les institutions de l’an VIII, fondées sur la centralisation administrative, qui mettent la nation dans la main de l’État et qui sont si commodes pour les gouvernements que tous les régimes qui se sont succédé depuis les ont conservées. À peine modifiées dans le détail, elles durent encore.