Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/620

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Pologne. Alors, si la Russie n’était plus pour Napoléon une alliée fidèle, si elle refusait de s’associer au blocus continental, elle devenait une ennemie et alors il faudrait la battre à son tour. L’idée de vaincre l’Angleterre par l’Europe et l’Asie, la mer par la terre, conduisait à ces conséquences, absurdes à première vue, pourtant logiquement liées.

Ce n’est pas de gaieté de cœur que Napoléon se résolut à franchir le Niémen et à porter la guerre en Russie. Il espérait toujours ne pas en venir là si l’Espagne était soumise, si les États-Unis, auxquels il promettait la Floride après leur avoir cédé la Louisiane, déclaraient la guerre à l’Angleterre, qui, frappée par le blocus continental dans ses intérêts, dans son existence même, finirait par demander la paix. Sans doute ce blocus portait un coup terrible au commerce britannique : il n’était pas moins grave pour le commerce des autres nations. La Hollande ne s’y soumettait pas et Napoléon dut la reprendre à son frère Louis, qui avait épousé la cause de ses nouveaux sujets. Il l’annexa et la divisa en départements. C’était pour l’Angleterre une raison de plus de ne pas désarmer. Ainsi le blocus continental menait soit à de nouvelles guerres, soit à de tels accroissements de l’Empire que les Anglais, refusant de reconnaître les conquêtes de la Révolution, devaient aussi résolument refuser de reconnaître les conquêtes nouvelles, entraînées par les premières et destinées à les garantir.

La France commençait à s’inquiéter. Le bon sens disait que cette extension du territoire et de la guerre ne pouvait pas être indéfinie et pourtant on n’en voyait pas la fin. Dans l’entourage même de l’empereur, des hommes perspicaces, comme Talleyrand et Fouché, commençaient à penser que tout cela finirait mal. Et pourtant, l’Empire ne parut jamais si grand, l’avenir si sûr qu’en 1810 lorsque Napoléon eut divorcé, renvoyé Joséphine qui ne lui avait pas donné d’enfant, épousé une archiduchesse en copiant le contrat de Marie-Antoinette et de Louis XVI dans la famille desquels il entrait. L’an d’après, Marie-Louise lui donnait un fils, l’Empire héréditaire avait un héritier et cet héritier, il était nommé Roi de Rome comme celui du Saint-Empire s’était appelé roi des Romains. Mais Rome, en 1811, n’était plus que le chef-lieu du département du Tibre. Le Pape était déporté à Savone en attendant d’être pri-