Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/657

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commençait et elle allait conduire à une crise grave par cet esprit d’aventure que le roi redoutait chez le ministre que la Chambre lui avait imposé. Thiers, historien, avait ranimé les souvenirs de la Révolution et de l’Empire. Il voulait s’illustrer par une politique extérieure active, quels que fussent les risques d’un conflit avec l’Europe. Comme Chateaubriand sous Louis XVIII, il poussait la monarchie à rivaliser de gloire avec Napoléon. Thiers proposa tout de suite de ramener de Sainte-Hélène les restes de l’empereur, chargea de cette mission le prince de Joinville, comme pour associer la famille royale elle-même à la réhabilitation et à l’exaltation de l’Empire. Le retour des Cendres ébranla les imaginations. Il ajouta, comme Lamartine, prophétiquement, l’avait annoncé, un élément à la conspiration presque générale de la littérature, passée au culte de l’empereur. Le retour des Cendres, c’était aussi un programme, celui d’une attitude « énergique », on voulait dire provocante, au-dehors, et la revanche des traités de 1815.

Cette politique, si téméraire, si dangereuse qu’on a pu appeler le parti de Thiers le parti de la fanfaronnade, avait pourtant la faveur de l’opinion publique. Mais l’opinion publique, c’étaient la bourgeoisie, les députés, les journaux. La grande masse du pays restait immobile, étrangère à ces débats. Elle n’était même pas consultée. On conçoit que Thiers, à ce moment-là plus qu’à aucun autre, ait été hostile au suffrage universel : il savait bien que la France rurale donnerait son appui à la politique pacifique, celle du roi, parce qu’il n’était pas possible d’intéresser le paysan au pacha égyptien Méhémet-Ali, dont la cause soulevait autant d’enthousiasme que naguère celle de la Grèce en avait soulevé. Il y avait déjà plusieurs années que les exploits de Méhémet-Ali, conquérant oriental, retentissaient en Europe, ajoutaient à la question d’Orient, toujours ouverte depuis le dix-huitième siècle, un élément dangereux, en menaçant au sud la Turquie menacée au nord par les Russes. Jusqu’alors la monarchie de Juillet s’était efforcée de jouer le rôle de médiatrice entre la Russie et l’Angleterre, toujours rivales en Orient. La politique française posait en principe l’intégrité de l’Empire ottoman, pièce de l’équilibre européen, dans l’idée qui avait été celle de Talleyrand depuis le Congrès de Vienne : compenser l’abandon des conquêtes de la