Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/667

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provisoire recula jusqu’au 23 avril la date du scrutin. Ce répit, les partisans de la République sociale le mirent à profit pour organiser une « journée » sur le modèle de la Révolution, afin d’épurer le gouvernement provisoire et d’en chasser Lamartine et les modérés. Comme sous la Révolution aussi, lorsque les Jacobins avaient été battus, c’est par les légions de la garde nationale restées fidèles à l’ordre que le coup de force échoua. Les communistes (c’est ainsi qu’on commençait à les appeler) ne réussirent pas à s’emparer de l’Hôtel de Ville, et leur manifestation ne rencontra à Paris que froideur et hostilité.

Hostile, la province l’était encore plus. À huit jours des élections, cette menace d’émeute l’inquiéta et l’irrita. Par habitude, elle avait suivi la capitale, accepté le changement de régime et il n’y avait pour ainsi dire pas de candidat qui ne se dît républicain. Mais un symptôme remarquable, c’était le calme que la province avait gardé, l’absence presque complète de désordres.

Le suffrage universel, ce sphinx, ce monstre, allait parler pour la première fois. On vota avec un zèle qui ne s’est jamais revu depuis, 7 800 000 bulletins sur 9 400 000 inscrits, 80 pour 100 des Français. Et la réponse fut décisive : sur 800 députés, les républicains avancés étaient moins de 100. Le reste était composé de modérés surtout et de monarchistes plus ou moins avoués. Pour la République démocratique et sociale, c’était un écrasement. Un résultat plus curieux encore, c’est que, même à gauche, presque tous les élus étaient des bourgeois. Les conservateurs qui craignaient le suffrage universel s’attendaient à voir un grand nombre d’hommes en blouse : il n’y eut pas plus d’une vingtaine d’ouvriers. Les classes moyennes gardaient la direction du pays et, jusqu’à nos jours, dans toutes les Assemblées, ce trait se retrouvera.

L’Assemblée de 1848 représentait une aspiration générale à l’ordre. Spontanément, le peuple français venait de suivre l’exemple des bourgeois de 1830 qui avaient substitué Louis-Philippe à Charles X. Née de l’émeute, comme la monarchie de Juillet, la deuxième République se mettait tout de suite de l’autre côté de la barricade. Comme la monarchie de Juillet, elle allait aussi se trouver aux prises avec les révolutionnaires