Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/669

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

par le suffrage universel, trop nouveau pour qu’on n’en eût pas le respect.

Cette élection survint au moment où les esprits étaient les plus agités. La fermeture des ateliers nationaux était imminente. Chaque soir, des bandes d’ouvriers parcouraient les boulevards en acclamant la République démocratique et sociale. Les contre-manifestations étaient spontanées et il ne leur manquait qu’un cri et des chants. On peut dire que l’Empire commença par une « scie » de café-concert : « Napoléon, nous l’aurons ! » et par des romances sentimentales : « Napoléon, sois bon républicain. » Un parti bonapartiste commençait à se former et, ce qui était encore plus important, un état d’esprit bonapartiste se formait aussi. Une nouvelle émeute socialiste allait le renforcer.

Celle-là fut plus qu’une émeute : un véritable essai de guerre sociale, noyé dans le sang. La Commission exécutive, obéissant au vote de l’Assemblée, avait fixé au 21 juin la dissolution des ateliers nationaux. Le 22, la décision ayant été notifiée, une délégation ouvrière protesta auprès du gouvernement. La décision maintenue, l’insurrection éclata le lendemain.

Elle fut d’autant plus violente qu’elle était anonyme. Elle n’eut pas de chefs. Le seul nom qui en soit resté est celui de Pujol, chef de section aux ateliers nationaux, qui donna le signal du soulèvement par une harangue aux ouvriers sur la place de la Bastille, au pied de la colonne de Juillet : la « sédition », comme l’Assemblée l’appelait, s’autorisait contre la République bourgeoise du souvenir des Révolutions qui avaient renversé la monarchie. Le soir même, la population ouvrière de Paris était sous les armes.

On vit alors ce que, ni en 1789, ni en 1830, ni en février, on n’avait vu : un gouvernement résolu à se défendre, qui avait pris toutes ses précautions, arrêté même à l’avance un plan de combat et qui chargeait l’armée régulière de la répression. Écartant les cinq civils de la Commission exécutive, l’Assemblée délégua le pouvoir au général Cavaignac, c’est-à-dire à un dictateur républicain. En trois jours, l’insurrection, d’abord maîtresse de près de la moitié de Paris, fut écrasée. Des arrestations en masse, des condamnations par les conseils de guerre, des déportations en Algérie suivirent cette victoire