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CHAPITRE III

LA FRANCE ENTRE LA PRUSSE ET L’AUTRICHE


« Louis XIV, a dit Sainte-Beuve, n’avait que du bon sens, mais il en avait beaucoup. » Louis XIV faisait preuve de ce bon sens lorsqu’il s’emportait contre Louvois et lui reprochait comme une faute grave d’avoir ordonné le ravage du Palatinat. Rien n’était, en effet, plus contraire que la violence à la politique que le roi entendait suivre dans les pays allemands. On définirait avec justesse cette politique en disant qu’elle correspondait exactement à ce qu’on a nommé de nos jours la « pénétration pacifique ».

Quelle différence entre les Allemands tels qu’on les a vus depuis le milieu du dix-septième siècle jusqu’à la fin du dix-huitième et ce que nous les voyons aujourd’hui ! Aussi souples, aussi empressés à se former à notre école, à imiter nos mœurs et à parler notre langue que nous les trouvons orgueilleux, insociables, infatués de leur « culture », convaincus de la supériorité de leur race. Les Allemagnes, à partir de 1650, furent comme une sorte de « province » où le peuple parlait encore un patois grossier, mais où les gens comme il faut ne se servaient que de notre langage. Les arts, les sciences, tout y était devenu français. Le nationalisme germanique du dix-neuvième siècle s’est scandalisé de ce reniement de l’Allemagne par elle-même. Ses historiens rappellent comme un honteux souvenir le long règne de l’influence et de la civilisation françaises au delà du Rhin. « Le patriote allemand, dit Biedermann, ne peut qu’en rougissant reporter son regard sur l’époque où, tandis que Louis XIV annexait des terres d’Empire avec une ambition altière, la fleur de la noblesse allemande lui rendait hommage et se sentait très honorée lorsque le dernier de ses courtisans