Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/708

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pour la République. Cependant les radicaux, en ralliant l’union des gauches, ne furent pas suivis par toutes leurs troupes. Rochefort, l’ancien adversaire de l’Empire, l’ancien communard, le polémiste populaire dont l’influence était considérable à Paris, retenait dans le parti du général les éléments avancés. Des scandales, un trafic de décorations dans lequel Wilson, gendre du président de la République, fut compromis, donnèrent un aliment nouveau au mouvement boulangiste et antiparlementaire. En décembre 1887, la Chambre, voyant le péril, obligeait Jules Grévy à se démettre, et le Congrès élut à sa place Sadi Carnot, descendant du Conventionnel. Cette sorte d’épuration du personnel républicain n’arrêta pas le boulangisme. Le général, mis en retrait d’emploi, était devenu éligible, et deux départements l’envoyèrent tout de suite à la Chambre. La situation s’était retournée : désormais les monarchistes votaient pour lui avec les dissidents radicaux. Le 27 janvier 1889, Paris l’élisait à son tour à une majorité énorme et avec un enthousiasme extraordinaire. Ce jour-là, de l’aveu du gouvernement lui-même, Boulanger n’avait qu’un mot à dire pour entrer à l’Élysée et s’emparer du pouvoir. Il recula devant un coup d’État, confiant dans le résultat des élections générales.

Le parti républicain, sauvé par cette hésitation, se défendit avec vigueur. L’union des gauches se renoua comme au 16 mai. Des poursuites furent ordonnées contre les partisans les plus actifs du général, Déroulède et la Ligue des Patriotes. Boulanger lui-même, traduit en Haute Cour, se réfugia à Bruxelles ainsi que Rochefort. Le scrutin d’arrondissement, impropre aux plébiscites, fut rétabli. Mais surtout, les masses rurales, toujours pacifiques, étaient restées étrangères à ce mouvement parti de Paris et des grandes villes. Il avait suffi, pour les détourner du boulangisme, qu’on leur dît qu’il apportait la guerre. Aux élections d’octobre 1889, c’est à peine si, dans toute la France, quarante partisans du général furent élus.

Le mouvement était fini, mais il eut des conséquences durables. D’abord il discrédita le révisionnisme et les attaques des radicaux contre la Constitution de 1875 devinrent moins ardentes et plus rares. On n’alla pas jusqu’à la démocratie directe et pure et la Constitution qu’avaient élaborée les conservateurs