Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/713

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placé sous la dépendance de l’extrême gauche, cédait à la démagogie anticléricale et anti-militaire. À Waldeck-Rousseau, succéda, en 1902, Émile Combes, qui, appuyé sur la nouvelle majorité radicale-socialiste et socialiste sortie des élections, passa de la défense républicaine à l’offensive. Waldeck avait poursuivi les congrégations, mais non l’Église. Combes alla jusqu’au bout de l’anticléricalisme, jusqu’à la rupture des relations avec le Saint-Siège, jusqu’à la séparation de l’Église et de l’État, depuis longtemps inscrite au programme des républicains avancés et toujours différée. Cette guerre religieuse troublait et divisait le pays en faisant renaître le délit d’opinion et en créant une catégorie de suspects, écartés des emplois et mal vus des autorités, parmi les Français qui ne partageaient pas les idées du gouvernement. La politique s’introduisait dans l’armée elle-même, tenue jusque-là hors des discordes civiles. La délation des « fiches » s’organisa contre les officiers qui allaient à la messe. En même temps, les propagandes les plus démagogiques s’exerçaient librement, même celle qui attaquait l’idée de patrie. Le pouvoir, les places, tout était entre les mains d’un petit nombre d’hommes et de leurs protégés, tandis qu’Émile Combes, fanatique désintéressé, couvrait ces abus et ces désordres. Dans la majorité elle-même, quelques républicains commencèrent à s’inquiéter. Chose remarquable : ce fut Alexandre Millerand qui conduisit la lutte contre un régime qu’il appela lui-même « abject ». Un socialiste annonçait le retour vers la modération.

Chose plus remarquable encore : pendant cette période d’obscurcissement de l’idée nationale, Théophile Delcassé, isolé au ministère des Affaires étrangères, travaillant sans contrôle, préparait la combinaison d’où les alliances de 1914 devaient sortir. En 1902, il s’était assuré la neutralité de l’Italie en cas de guerre provoquée par l’Allemagne. En avril 1904, d’accord avec Édouard VII, tous les litiges coloniaux avaient été réglés entre la France et l’Angleterre. Nous lui abandonnions l’Égypte et nous recevions le droit de compléter notre empire de l’Afrique du Nord par le protectorat du Maroc. Dix mois plus tard, Combes était renversé. Un opportuniste, Rouvier, le remplaçait. Il continuait la politique anticléricale avec un peu moins d’âpreté, mais avec la même indifférence aux problèmes extérieurs