Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/729

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flottes anglaises l’enfermaient, l’Allemagne, par la guerre sous-marine sans restriction, avait provoqué les États-Unis et fait sentir le danger de sa victoire à la lointaine Amérique elle-même. Les Américains jetaient leur poids dans la balance au moment de la défection des Russes, et leur nombre venait à point pour remplacer dans l’esprit des Français le contrepoids disparu. En intervenant, presque à la dernière heure, avec des forces toutes fraîches, les États-Unis contribuaient à la chute de l’Allemagne. Ils la démoralisaient surtout en lui retirant l’espoir de vaincre. Mais si le président Wilson avait déclaré la guerre le 2 avril 1917, les États-Unis ne seraient pas en mesure de prendre part à la lutte avant de longs mois. L’Amérique intacte arrivera à la fin de la guerre dans une Europe fatiguée, et le président Wilson sera maître de la paix comme la France l’avait été sous Richelieu en n’intervenant que dans la dernière période de la guerre de Trente Ans. Seulement le président Wilson connaissait mal les questions européennes. Quoique belligérants, les États-Unis tenaient à se dire les associés et non les alliés de l’Entente, et leur gouvernement restait prêt à jouer le rôle d’arbitre et de médiateur qu’il avait déjà essayé de prendre plusieurs fois. À la veille de la victoire, on voyait percer les difficultés de la paix.

Avant d’être vaincue, l’Allemagne prouva qu’elle pouvait encore être redoutable. En 1918 comme en 1914, elle joua et elle perdit. Comme en 1914 aussi elle fut près de réussir. Si, jusque-là, elle avait tenu tête à tant d’adversaires, c’était d’abord à son organisation politique et militaire qu’elle le devait. C’était ensuite aux fautes des Alliés qui n’avaient pas su unir leurs efforts. Ils avaient plusieurs chefs, maintes fois ils s’étaient fait battre en détail, tandis que la coalition ennemie tout entière était conduite par l’état-major allemand. Il y avait en France un front anglais isolé : le 21 mars 1918, Ludendorff l’attaquait, l’enfonçait. Toute une armée anglaise battait en retraite, et les Allemands purent croire qu’ils s’ouvraient de nouveau la route de Paris, bombardé le jour par de mystérieux canons à longue distance, par des avions la nuit, et d’où le gouvernement se tenait prêt à partir, comme en 1914. Dans ce péril, ce furent encore les soldats français qui se sacrifièrent et qui arrêtèrent la ruée. Du moins le danger commun, rede-