Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/86

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écrivait Michelet — : c’est un slave, un slave hypocrite, « un slave à masque d’Allemand ». Parlez-nous d’un loyal Germain comme Frédéric !

Le roman historique de Michelet est un scandale pour l’intelligence quand on le confronte aux résultats que la grandeur de la Prusse a portés pour la France, l’Europe et la civilisation. C’est l’opprobre de la science et de la critique quand on le compare aux délibérations soigneuses, à l’examen des inconvénients et des avantages de l’opération, examen dont le renversement des alliances fut précédé. En toute lucidité, se référant aux expériences successives et malheureuses qu’il venait de faire avec le roi de Prusse, le gouvernement royal se décidait à adopter un nouveau système, non pas pour changer la politique de la France en Allemagne, toujours fondée sur les traités de Westphalie (« qui assurent à la France, tant qu’elle saura se conduire, la législation de l’Allemagne », disait Bernis), mais pour adapter cette politique à des circonstances nouvelles et à de nouveaux besoins. Albert Sorel a bien remarqué que cette idée n’avait pas surgi d’un jour à l’autre dans quelques cerveaux. Un travail préparatoire l’avait mûrie. Qu’on est loin d’un coup de tête et d’une fantaisie ! En 1737, en 1749, en 1750, en 1752, les instructions de nos ambassadeurs en Autriche témoignent des réflexions du pouvoir. En 1750, l’instruction du marquis d’Hautefort dit avec netteté que le roi « n’est nullement affecté des anciennes défiances, qui, depuis le règne de Charles-Quint, avaient fait regarder la maison d’Autriche comme une rivale dangereuse et implacable de la maison de France ; l’inimitié entre ces deux principales puissances ne doit plus être une raison d’État ». L’instruction que Bernis rédige sept ans plus tard pour l’ambassadeur du roi à Vienne expose l’ensemble des raisons par lesquelles le roi s’est décidé à franchir le pas et à se rapprocher de la cour de Vienne. C’est tout un mémoire d’un sérieux et d’une profondeur de vues sans défaillances. L’homme qui était chargé de remplir cette mission était d’ailleurs un des mieux doués, un des plus capables de son temps : ce n’était pas un autre que Choiseul. Les points principaux de l’instruction qu’il emportait étaient les suivants :

« En s’unissant étroitement à la cour de Vienne, on peut dire que