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Page:Bainville - Histoire de deux peuples.djvu/111

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a dès lors le droit de vivre et de se développer conformément à sa nature : et l’idée que Jean-Jacques Rousseau a apportée, c’est que tout ce qui est naturel est légitime, est beau, est bon, est divin. Dans cette idée, l’Allemagne se retrouve elle-même, se conçoit et s’admire. Partie du cosmopolitisme du XVIIIe siècle, alors qu’un de ses « intellectuels » comme Lessing disait n’avoir de l’amour de la patrie aucune idée, alors que la supériorité de la civilisation française était incontestée et, obtenant le consentement général, réalisait l’unité du monde européen, l’Allemagne pensante passa au nationalisme le plus véhément par la transition de Rousseau, adapté au germanisme par Herder.

Nous touchons ici à l’un de ces points où l’action des idées double l’action des événements, où le spirituel, en coïncidant avec le temporel, développe jusqu’aux extrêmes conséquences les données de la politique. La Terreur était sortie des dogmes humanitaires de la Révolution. Un monstre bien plus affreux, le germanisme, allait en surgir. Aujourd’hui les fils de la Révolution se voilent les yeux, « le flot qui l’apporta recule épouvanté ». Cependant la responsabilité des idées, qui est aussi certaine que celle des hommes, apparaît ici avec la force de l’évidence.

Herder, nourri de Rousseau, professe un cosmopolitisme où les grands conflits de nationalités et de races sont en germe. Ce cosmopolitisme revient à dire qu’il existe chez tous les peuples quelque chose de précieux, de sacré, à quoi nul n’a le droit d’attenter : c’est le caractère national, c’est l’âme de la race. Et le langage par lequel s’exprime cette âme sert aussi à définir l’individualité nationale. D’où résulte le devoir absolu pour chaque peuple de cultiver et de développer jusqu’au bout sa personnalité propre.

Cette idée était prodigieusement nouvelle et grosse de prodigieuses nouveautés dans une Allemagne morcelée à l’infini et à qui toute existence nationale avait été jusqu’alors refusée plus qu’à aucun autre peuple. Les Allemands avaient perdu l’idée qu’ils pussent exister comme nation. Cette idée, la Révo-