Page:Bainville - Histoire de deux peuples.djvu/149

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d’Europe » est le mot juste que le cardinal Antonelli avait dit le premier, qu’on a cent fois répété depuis. Il n’y a plus eu, en effet, après l’unité allemande, de traces de l’ancien système d’une Europe, organisée, vaille que vaille, contre les excès des plus forts. Le système d’équilibre auquel le monde européen était arrivé, grâce à la France, et qui reposait essentiellement sur l’impuissance de l’Allemagne, a été rompu. Le germanisme une fois en liberté, le règne de la force sans condition a reparu dans l’ancien monde, aggravé encore par la puissante concentration des États modernes et les ressources de la science. Terrible régression de l’espèce humaine dans un âge où jamais les hommes n’avaient été aussi fiers de leur progrès.

La Prusse ayant brisé les dernières conventions de la société des peuples, les autres États, il faut le reconnaître, s’affranchirent à leur tour et de la même façon. L’année 1870 marque l’avènement de l’anarchie internationale. Si l’égoïsme est une loi de la vie des États, il est des circonstances où l’égoïsme absolu coûte cher. Dans le désordre où la chute des anciens principes, la mêlée des nationalités et les fautes de la démocratie napoléonienne avaient jeté l’Europe, chacun assista à la défaite de notre pays avec la pensée de profiter de l’occasion. Thiers s’en aperçut cruellement lorsqu’il entreprit à travers les capitales cette tournée où il tenta de gagner des concours à notre pays. On raconte qu’arrivé à Londres, tandis qu’il plaidait la cause de la France dans le cabinet de lord Granville, le vieillard, vaincu par la fatigue, s’affaissa soudain et se tut. Lord Granville, sur le moment, le crut mort, et il se mit à penser qu’elle était très belle la fin de cet illustre homme d’État, succombant à l’heure où il parlait pour sa patrie vaincue… Ce n’est pas seulement avec cette indifférence esthétique que l’Angleterre de 1870 a regardé nos revers. Tout à fait négligente du péril allemand qui, alors, ne faisait que de germer pour elle, l’Angleterre agit même en sorte que personne ne pût venir à notre aide. Elle organisa la ligue des neutres, qui ne pouvait nuire qu’à la France en inter-