Page:Bainville - Histoire de deux peuples.djvu/65

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possession de la force est la condition du succès, il faut savoir en modérer l’emploi. Pourquoi brutaliser les Allemands si empressés à servir ? Il était de l’avis de Gravel, un de ses meilleurs agents en Allemagne, et qui définissait ainsi le protectorat que le roi avait acquis sur la Ligue du Rhin : « Cette Ligue donne lieu à Votre Majesté d’entretenir les amis et le grand crédit qu’elle a dans l’Empire, elle lui ouvre la porte pour faire entrer indirectement des ministres dans tous les conseils qui s’y peuvent tenir, l’en rend comme membre sans en dépendre. » C’est pourquoi Mignet a pu dire que Louis XIV fut « le chef réel de l’Empire ». Et si le roi s’exposa, dans la dernière partie de son règne, à troubler ce qui était devenu tranquille, s’il rouvrit la lutte qui semblait terminée à notre avantage, ce ne fut pas sans de puissantes raisons. L’affaire de la succession d’Espagne, appelée fort disgracieusement par Mignet, qui voyait bien mais qui écrivait mal, « le pivot de son règne », continuait la tradition de la grande politique française. Le succès de cette entreprise devait marquer une ère nouvelle.

Louis XIV ne s’était pas résolu sans hésitations à accepter le testament de Charles II, qui appelait son petit-fils au trône d’Espagne. Au grand conseil de la couronne qui fut tenu en cette circonstance, la raison qui décida fut une raison d’État. La France ne pouvait se soustraire au devoir d’achever la pensée de François Ier, d’Henri II, d’Henri IV, de Richelieu, d’en finir avec le « dessein d’Espagne » et la possibilité d’une restauration de la puissance qu’on avait vue à Charles-Quint. L’Europe crut que Louis XIV aspirait à la monarchie universelle, tandis qu’il travaillait pour l’équilibre. Faire en sorte que la maison d’Autriche fût pour toujours écartée de l’Espagne, c’était servir la France et tout le continent. L’Europe, par un étonnant retour, rendit justice à Louis XIV, à son bon sens, à son esprit prévoyant, lorsque l’empereur Joseph, étant mort sans enfants en 1711, eut pour successeur son frère l’archiduc Charles, le même que la coalition soutenait contre Philippe V. La réunion des