Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/100

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Dans l’expérience de Milgram, refuser d’obéir équivaut à nier l’autorité que quelqu’un a revendiquée a priori, or cela constitue un grave manquement non pas à telle ou telle règle mais à toute règle.

Il ne faut pas se leurrer, c’est bien au nom de la morale que les sujets obéissent aux ordres ; ils estiment qu’ils se sont « engagés » vis-à-vis de l’expérimentateur et qu’il est mal de renier une obligation ainsi « librement » contractée. Goffman a montré à plusieurs reprises que toute situation sociale reposait sur ce consensus : à partir du moment où une chose est exposée aux personnes concernées et acceptées par elles, il n’y a plus de contestation possible. « On ne reviendra pas en arrière » interdit souvent le moindre pas en avant. Dans les écoles « de pointe », le contrat apparaît comme le fin du fin. L’élève s’engage librement à faire tel ou tel travail. Et personne ne rigole !

Il s’agit ici de préserver une certaine continuité. Cette continuité n’a rien d’innocent. Milgram analyse très pertinemment, me semble-t-il, l’une des raisons qui font que les sujets qui ne se sont pas rebellés au début de l’expérience se sentent de plus en plus obligés de poursuivre. Car au fur et à mesure que le sujet obéissant augmente l’intensité des chocs, il doit justifier son comportement vis-à-vis de lui-même. Il lui faut donc aller jusqu’au bout ; s’il s’arrête, il doit logiquement se dire : « Tout ce que j’ai fait jusqu’à présent est mal et je le reconnais maintenant en refusant d’obéir plus longtemps. » Par contre, le fait de continuer justifie le bien-fondé de sa conduite antérieure.

Je t’ai gardé le meilleur pour la fin. Pense à tous ces livres d’enseignants qui paraissent et contestent l’école, à tous ces parents qui râlent et pleurnichent et expriment leur malaise, à ces articles de journaux qui disent que ça ne peut pas durer comme ça. Et pourtant l’école continue, inexorablement. Pense bien à tout ça, ma chérie, maintenant que je vais te faire part d’une des constatations les plus édifiantes de l’expérience de Milgram.

Il ne faut pas s’imaginer que les sujets obéissent avec entrain ! Que non ! Beaucoup trouvent l’expérience odieuse et « ne se privent pas de le dire », d’autres tremblent, pâlissent et ne cessent d’affirmer qu’ils « ne peuvent pas le supporter ». Les femmes, plus encore, « en sont malades ». Dans l’ensemble, elles éprouvent un conflit d’une intensité supérieure à celui des hommes. Elles estiment que la méthode d’apprentissage est cruelle mais qu’elles ne « doivent pas céder à leur sensibilité », « c’est comme avec les enfants » ; dans les interviews qui suivent l’expérience, elles se réfèrent souvent à leur devoir d’éducatrice. Hommes ou femmes,