Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/32

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leur « serrer la vis » car « ils se croient tout permis », « ils ne se rendent même pas compte de ce qu’ils font ».

Il n’y a pas trente-six manières de surveiller ; quant à la discipline, je connais des centrales moins dures que certains internats. Je n’ai pas l’intention d’insister sur ce qu’est la discipline. Michel Foucault a fait dans Surveiller et punir une étude en tous points remarquable sur la question. Il a parfaitement rendu compte du pouvoir de la Norme qui s’érige au XVIIIe siècle : « Le Normal s’établit comme principe de coercition dans l’enseignement avec l’instauration d’une éducation standardisée et l’établissement des écoles normales. […]. Aux marques qui traduisaient des statuts, des privilèges, des appartenances, on tend à substituer ou du moins à ajouter tout un jeu de degrés de normalité, qui sont des signes d’appartenance à un corps social homogène, mais qui sont en eux-mêmes un rôle de classification, de hiérarchisation et de distribution des rangs. En un sens, le pouvoir de normalisation contraint à l’homogénéité ; mais il individualise en permettant de mesurer les écarts, de déterminer les niveaux, de fixer les spécialités et de rendre les différences utiles en les ajustant les unes aux autres. On comprend que le pouvoir de la norme fonctionne facilement à l’intérieur d’un système de l’égalité formelle, puisqu’à l’intérieur d’une homogénéité qui est la règle, il introduit, comme un impératif utile et le résultat d’une mesure, tout le dégradé des différences individuelles[1]. »

Le pouvoir disciplinaire, on voit bien ce que c’est ; tous les parents savent comment on « dresse » leur gosse à l’école, si « libérale » soit-elle. Là où ils croient trouver une excuse à leur aveuglement, c’est que la discipline normative ne rend pas vraiment leur mioche identique à celui du voisin ; l’un continuera à aimer le disco, l’autre préfèrera le reggae. C’est là le piège, car « au lieu de plier uniformément et par masse tout ce qui lui est soumis, il [le pouvoir disciplinaire] sépare, analyse, différencie, pousse ses procédés de décomposition jusqu’aux singularités nécessaires et suffisantes […]. » La discipline « fabrique des individus ; elle est la technique spécifique d’un pouvoir qui se donne les individus à la fois pour objets et pour instruments de son exercice »[2].

Tu comprends bien que si l’école ne formait qu’une collectivité, nous aurions quelques réflexes de défense contre la confection en série. Mais c’est bien pire que ça, c’est en tant qu’individu que chacun est surveillé,

  1. Surveiller et punir, Michel Foucault, Gallimard, 1975.
  2. Ibid.