Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/72

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d’éviter ce qu’il était en mon pouvoir d’écarter de ton enfance : la sombre cochonnerie de l’institutionnalisation des rapports de peur entre adultes et enfants. Car cela n’était en rien nécessaire.

Il n’entrait pas dans mes vues de faire de toi un bouddha, le prince protégé de tout mal par ses parents ; jamais je ne t’ai caché ta souffrance ni celle des autres, ni la mort, ni l’agressivité des hommes, ni nos faiblesses. Mais pourquoi aurais-je permis que tu vives la peur pour la peur, pour le pur apprentissage de la peur coutumière ?

Et qu’avons-nous à faire des poncifs délétères selon lesquels « il faudra bien qu’un jour ou l’autre, elle y passe » ? Entends qu’elle (toi) passe au laminage de la terreur. « Le cynisme est la seule force dans laquelle les âmes vulgaires touchent à la probité » (Nietzsche). Si bien qu’on me répète indéfiniment : « C’est comme ça ! » avec un défi aigre et méchamment triomphal dans la voix.

Eh bien non. Les choses ne sont pas comme ça. D’abord parce que, de mon côté, je peux changer ce qui ne me convient pas (et il est assez intéressant de noter qu’une phrase aussi lumineuse puisse apparaître, par les temps qui courent, comme celle d’une illuminée), ensuite parce que les choses qu’il n’est pas en mon pouvoir ou en mon seul pouvoir de changer, je puis toujours les refuser et ne pas pactiser avec les résignés et accepteurs (mais là encore la sagesse des nations considère comme une folie de refuser l’inéluctable ; ne sachant plus dire non, on méconnaît le sens vrai du oui ; incapable d’acquiescer, on accepte).


Catherine, une de nos amies, professeur d’anglais, nous avait dit un soir : « Les récréations… On dirait des truies qui hurlent. » L’expression était si adéquate que j’ai, en un instant, été envahie par le souvenir de ces cours de récréation, de ce bruit si particulier, jamais entendu nulle part ailleurs, d’enfants hurlant. Et l’atmosphère des veilles de vacances, cette espèce de sauvagerie qui s’emparait des gamines… Une fois de loin en loin, il arrivait que l’une craignît l’ennui de l’été mais pas l’ensemble, oh non ! pas l’ensemble… Bonnes ou mauvaises élèves, nous attendions l’été avec une immense convoitise. La veille des vacances, des farandoles barbares se déroulaient d’où je me tenais lâchement à distance : « Vive les vacances ! À bas les pénitences ! Les cahiers au feu ! La maîtresse au milieu ! » Je n’osais pas chanter ça. Sans doute, terriblement lèche-cul, craignais-je de trahir l’institutrice que j’aimais, que tout me forçait à aimer. (Mais elle était gaie ce jour-là – pour elle aussi c’étaient les vacances – et j’aurais pu lui lancer un clin d’œil en passant…) Il y avait quelque chose de bien plus