Page:Baker - Pourquoi faudrait-il punir, 2004.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Au moment de la rencontre, le médiateur ou le conciliateur dit la loi. Celui qui a commis l’infraction doit alors reconnaître son tort par rapport à une loi qui lui reste étrangère et qu’il ne reconnaît pas pour sienne. Antoine Garapon insiste : « En avouant, tout d’abord je me fais juge de moi-même ; je renie ce que j’ai fait, j’affirme que j’ai changé et je me sépare de mon acte[1]. » On ne saurait mieux dire ! Michel Foucault voyait dans l’aveu une reddition de l’intériorité. Comment peut-on se séparer de ses actes, se juger soi-même, se renier sans devenir au mieux schizophrène au pire pervers ? Pour cette démarche indigne il faut épouser une vision du bien et du mal imposée par l’autre. On peut avouer pour mille autres raisons et d’abord pour revendiquer son geste, mais pour « se séparer de ses actes », voilà bien la folie de la morale ! Celle des autres, celle des juges, celle d’une culture — bourgeoise, religieuse, coloniale, qu’importe — mais d’une culture dominante. Prenons un exemple facile, celui d’une mère accusée d’avoir excisé sa fille : elle pense bien faire de l’inscrire dans une tradition, de la faire appartenir ainsi à une communauté. Mais admettons même que la mère accepte ce qui est à ses yeux un déshonneur et renonce à exciser la cadette pour pouvoir résider en France, elle n’en demeure pas moins convaincue qu’elle agit mal. De même, le voleur acceptera-t-il de présenter toutes ses excuses au volé, mais non sans se traiter de lâche. Car l’affaire peut sembler réglée entre les deux parties, mais qu’en est-il des conditions sociales qui ont produit le délit ou le crime ?

Toutefois reconnaissons qu’au moins dans la médiation, la question reste ouverte (comme disait le gendarme canadien, il faut juste avoir de l’imagination) alors qu’elle est définitivement close dans le système judiciaire.

La plupart des abolitionnistes sont très intéressés par ces tentatives de règlement des conflits en dehors du système judiciaire, mais on vient de voir qu’elles ne sont pas exemptes de possibles critiques. Louk Hulsman a été le premier à insister sur la nécessité de créer pour chaque conflit des commissions ad hoc dont les

  1. Et ce sera Justice, op. cit.