Page:Bakounine - Œuvres t3.djvu/132

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l’unique origine, la source de toutes nos connaissances, nous démontre donc, primo, |226 que toute intelligence est toujours attachée à un corps animal quelconque, et, secundo, que l’intensité, la puissance de cette fonction animale dépend de la perfection relative de l’organisation animale. Ce second résultat de l’expérience universelle n’est pas applicable seulement aux différentes espèces animales ; nous le constatons également dans les hommes, dont la puissance intellectuelle et morale dépend d’une manière par trop évidente de la plus ou moins grande perfection de leur organisme, comme race, comme nation, comme classe et comme individus, pour qu’il soit nécessaire de beaucoup insister sur ce point[1].

D’un autre côté, il est certain qu’aucun homme n’a jamais vu ni pu voir l’esprit pur, détaché de

  1. Les idéalistes, tous ceux qui croient en l’immatérialité et en l’immortalité de l’âme humaine, doivent être excessivement embarrassés de la différence qui existe entre les intelligences des races, des peuples et des individus. A moins de supposer que les parcelles divines ont été inégalement distribuées, comment expliquent-ils cette différence ? Il y a malheureusement un nombre trop considérable d’hommes tout à fait stupides, bêtes jusqu’à l’idiotisme. Auraient-ils donc reçu en partage une parcelle à la fois divine et stupide ? Pour sortir de cet embarras, les idéalistes doivent nécessairement supposer que toutes les âmes humaines sont égales, mais que les prisons dans lesquelles elles se trouvent enfermées — les corps humains — sont inégales, les unes plus capables que les autres de servir d’organe à l’intellectualité pure de l’âme. Telle âme aurait de cette manière à sa disposition des organes très fins, une autre des organes très grossiers. Mais ce sont là des distinctions dont l’idéalisme n’a pas le droit de se servir, dont il ne peut se servir sans tomber lui-même dans l’inconséquence et dans le matérialisme le plus grossier. Car devant l’absolue immatérialité de l’âme, toutes les différences corporelles disparaissent, tout ce qui est corporel, matériel, devant apparaître comme indifféremment, |227 également, absolument grossier. L’abîme qui sépare l’âme du corps, l’absolue immatérialité de la matérialité absolue, est infini ; par conséquent toutes les différences, inexplicables d’ailleurs et logiquement impossibles, qui pourraient exister de l’autre côté de l’abîme, dans la matière, doivent être pour l’âme nulles et non avenues et ne peuvent, ne doivent exercer sur elle aucune influence. En un mot, l’absolument immatériel ne peut être contenu, emprisonné, et encore moins exprimé, à quelque degré que ce soit, par l’absolument matériel. De toutes les imaginations grossières, et matérialistes dans le sens attaché à ce mot par les idéalistes, c’est-à-dire brutales, qui ont été engendrées par l’ignorance et par la stupidité primitive des hommes, celle d’une âme immatérielle emprisonnée dans un corps matériel est certainement la plus grossière, la plus crasse ; et rien ne prouve mieux la toute-puissance exercée même sur les meilleurs esprits par des préjugés antiques, que ce fait vraiment déplorable, que des hommes doués d’une haute intelligence puissent en parler encore aujourd’hui. (Note de Bakounine.)