Page:Bakounine - Œuvres t3.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle est devenue toute-puissante, comme le devient nécessairement toute folie qui s’empare du cerveau de l’homme. Prenez un fou : quelque soit l’objet spécial de sa folie, vous trouverez que l’idée obscure et fixe qui l’obsède lui paraît la plus naturelle du monde, et qu’au contraire les choses naturelles et réelles qui sont en contradiction avec cette idée lui sembleront des folies ridicules et odieuses. Eh bien, la religion est une folie collective, d’autant plus puissante qu’elle est une folie traditionnelle et que son origine se perd dans une antiquité excessivement reculée. Comme folie collective, elle a pénétré dans tous les détails tant publics que privés de l’existence sociale d’un peuple, elle s’est incarnée dans la société, elle en est devenue pour ainsi dire l’âme et la pensée collective. Tout homme en est enveloppé dès sa naissance, il la suce avec le lait de sa mère, l’absorbe avec tout ce qu’il entend, tout ce qu’il voit. Il en a été bien si nourri, empoisonné, pénétré dans tout son être, que plus tard, quelque puissant que soit son esprit naturel, il a besoin de faire des efforts inouïs pour s’en délivrer, et encore n’y parvient-il jamais d’une manière complète. Nos idéalistes modernes en sont une preuve, et nos matérialistes doctrinaires, les communistes allemands, en sont une autre. Ils n’ont pas su se défaire de la religion de l’État. Une fois le monde surnaturel, le monde divin, |230 bien établi dans l’imagination traditionnelle des peuples, le développement des différents systèmes religieux a suivi son cours naturel et logique, tou-