Page:Bakounine - A mes amis russes et polonais, 1862.djvu/19

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le travail était, suivant les anciennes idées, indispensable à l’existence de la liberté civique.

Il suffisait donc autrefois que toute contrée où l’aristocratie et la chliachta étaient composées de Polonais, fût supposée polonaise, à quelque nationalité que pût appartenir le peuple. C’était naturel alors, car dans ces temps-là le peuple ne comptait pour rien, il n’avait ni voix, ni droit d’avoir une volonté.

Mais une telle chose est-elle possible de nos jours, alors que partout le peuple demande à haute voix sa liberté ?

La Pologne aristocratique pourra-t-elle résister à la Russie paysanne ? L’annexion à la Pologne de la Lithuanie, de la Russie-blanche, de la Livonie, de la Courlande et de l’Ukraine est-elle possible, si les paysans de ces contrées ne le veulent pas ?

Pourquoi donc parler des limites historiques, stratégiques et économiques ? Elles n’ont aucune influence sur les peuples, ne peuvent l’émouvoir. Qu’ont-ils à faire de souvenirs historiques ? Ils leur sont étrangers, car ils savent qu’ils ont toujours été esclaves et qu’ils le sont encore. Non, il leur faut autre chose. Comme au peuple russe, il leur faut la glèbe et la liberté dans le large sens qu’il le demande. Tournez le dos au passé, proclamez une Pologne de chlopi (paysans), beaucoup de nations slaves vous suivront, et si la Russie reste en arrière — vous les aurez toutes derrière vous.

Je pense que les Polonais se trompent. Mais nous n’avons pas le droit de nous en fâcher.

Honte au Russe qui, dans ce moment, quand l’armée russe massacre le peuple polonais, foule aux pieds ses enfants et ses compagnes, aurait le courage de dire une parole de reproche aux nobles et héroïques fils de cette nation martyre, mais non pas écrasée. Pas écrasée, non : Jeszèze Polska nie zginela[1] ! Nous saluons avec enthousiasme et amour la miraculeuse régénération de cette grande nation slave, sans laquelle le monde slave ne serait pas complet,

  1. La Pologne n’est pas morte encore, c’est la Marseillaise des Polonais. Note du trad.