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Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/116

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1830, l’État dut se donner une religion officielle. La chose n’était point facile. La bourgeoisie ne pouvait se remettre crûment sous le joug du catholicisme romain. Il y avait entre elle et l’Église de Rome un abîme de sang et de haine et, quelque pratique et sage qu’on devienne, on ne parvient jamais à réprimer én son sein une passion développée par l’histoire. D’ailleurs, le bourgeois français se fût couvert de ridicule s’il était retourné à l’Église pour y prendre part aux pieuses cérémonies de son culte, condition essentielle d’une conversion méritoire et sincère. Plusieurs le tentèrent, il est vrai, mais leur héroïsme n’obtint d’autre résultat qu’un scandale stérile. Enfin le retour au catholicisme était impossible, à cause de la contradiction insolite qui sépare la politique invariable de Rome et le développement des intérêts économiques et politiques de la classe moyenne.

À cet égard, le protestantisme est beaucoup plus commode. C’est la religion bourgeoise par excellence. Elle accorde juste autant de liberté qu’il en faut au bourgeois et elle a trouvé le moyen de concilier les aspirations célestes avec le respect qu’exigent les intérêts terrestres. Aussi est-ce surtout dans les pays protestants que le commerce et l’industrie se sont développés.

Mais il était impossible pour la bourgeoisie française de se faire protestante. Pour passer d’une religion à une autre, — à moins de le faire par calcul comme les Juifs de Russie et de Pologne, qui se font baptiser trois et même quatre fois, pour recevoir autant de fois la rémunération qui leur est allouée, — pour changer de religion sérieusement, il faut avoir quelque peu de foi. Or, dans le cœur exclusivement positif du bourgeois