Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/268

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sourire, son émotion, lorsque son cousin Kartachevski, élève des jésuites, entonnait de sa voix sauvage mais pleine de passion comprimée : « Ieszcze Polska nie zginela[1] ». Son fanatisme orthodoxo-moscovite ne l’empêchait pas, cependant, de comprendre le caractère saint et légitime du fanatisme patriotique des Polonais.

À cette époque, Constantin Serguéievitch avec ses amis était déjà l’adversaire résolu de l’empire de Pétersbourg et de l’État, en général, et nous devançait ainsi de beaucoup dans cette voie. Je me demandai plus d’une fois si la dernière révolte polonaise et le vain bruit que fit à cette occasion la diplomatie de l’Europe, ne le pousseraient pas à se jeter, avec les autres coryphées du parti slavophile, dans le camp de l’impérialisme de Pétersbourg qui leur est odieux ? Je ne saurais résoudre cette question. Nous avons vu se passer sous nos yeux tant de changements monstrueux, qu’il serait, vraiment, difficile de répondre du stoïcisme théorique et de la logique poussée à bout, même chez Constantin Serguéievitch Aksakoff. Mais voici de quoi je peux vous répondre : Quelque erroné et quelque passionné que soit son entraînement, jamais il ne deviendra l’incitateur et l’instigateur du bourreau Mouravieff, jamais il ne voudra serrer la main des officiers de la garde, des spoliateurs et des mouchards. Il se détournerait avec indignation, avec horreur et dégoût, du spectacle de la tuerie des Polonais désarmés, et il aurait plutôt renié les siens, que de les laisser insulter ces nobles victimes tombées dans la lutte. Enfin, après toutes les réjouissances officielles, il ne serait pas allé à

  1. Hymne patriotique polonais : « La Pologne n’est pas/ Encore morte ». (Trad.)