Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/276

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jeunesse russe, son moral et ses points de vue sont infiniment au-dessus de ceux des Katkoff et des Pogodine, des Aksakoff et des Tourguéneff qui te sont si chers — cette jeunesse est tellement au-dessus de ces vieux enfants prodigues, que s’ils montrent du doigt ces jeunes, cela ne peut nullement les déshonorer ; c’est, au contraire, pour eux un point d’honneur. Et quant aux mesures ignobles de nos gouvernants, rien au monde ne pourrait les justifier si ce n’est la nature même de ce gouvernement, essentiellement et nécessairement ignoble.

Il y a cinq ou dix ans, lorsque chef vaillant, tu regardais audacieusement en avant, sans t’inquiéter de ce que disaient les gens à courte vue, les praticiens officiels et officieux de la pourriture gouvernementale ; lorsque tu ne te laissais pas entraîner à cette illusion de pouvoir réaliser à moitié tes plans, ce qui est aussi impossible aujourd’hui qu’hier ; que tu te gardais surtout de te laisser fasciner par l’éclat du mensonger simulacre de leur réalisation — tu n’aurais pas annoncé ces paroles terribles ; terribles surtout pour toi, — ces paroles, qui dénotent l’impuissance du vieillard.

Dans le temps, tu sentais en toi la force, et la force est toujours magnanime ; elle est si pleine de confiance en elle-même, qu’elle demeure impartiale, même, pour ses ennemis. Mais ta dernière lettre accuse une humeur grondeuse et une injustice évidente. Tu m’écris, que toi et Tourguéneff, vous avez signé votre Campo-Formio. Arrête-toi, Herzen et rappelle-toi que Campo-Formio est la première lettre de l’alphabet napoléonien, dont les dernières sont Waterloo et Saint-Hélène. Et Tourguéneff, qui t’adresse sa Zärtlichkeit, ne l’osa-t-il pas parce qu’il