Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/336

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convertir, — il est allé même jusqu’à me supplier de vouloir bien développer cette théorie dans un journal russe, qu’il m’avait proposé d’établir. Il a trahi la confiance de nous tous, il a volé nos lettres, il nous a horriblement compromis, en un mot, il s’est conduit comme un misérable. Sa seule excuse, c’est son fanatisme ! Il est un terrible ambitieux sans le savoir, parce qu’il a fini par identifier complètement la cause de la révolution avec sa propre personne, — mais ce n’est pas un égoïste dans le sens banal de ce mot, parce qu’il risque horriblement sa personne et qu’il mène une vie de martyr, de privations et de travail inouï. C’est un fanatique, et le fanatisme l’emporte jusqu’à devenir un jésuite accompli, — par moments, il devient tout simplement bête. La plupart de ses mensonges sont cousus de fil blanc. Il joue au jésuitisme comme d’autres jouent à la révolution. Malgré cette naïveté relative, il est très dangereux, parce qu’il commet journellement des actes, des abus de confiance, des trahisons, contre lesquels il est d’autant plus difficile de se sauvegarder, qu’on en soupçonne à peine la possibilité. Avec tout cela N. est une force, parce que c’est une immense énergie. C’est avec grand’peine que je m’en suis séparé, parce que le service de notre cause demande beaucoup d’énergie et qu’on en rencontre rarement une développée à ce point. Mais après avoir épuisé tous les moyens de m’en convaincre, j’ai dû m’en séparer, et, une fois séparé, j’ai dû le combattre à outrance. Son dernier projet n’a été, ni plus ni moins, que de former une bande de voleurs et de brigands en Suisse, naturellement dans le but de constituer un capital révolutionnaire. Je l’ai sauvé, en lui faisant quitter la Suisse, parce qu’il est certain qu’il aurait été découvert, lui