face de la gare : le souper venait de finir ; on l’avait envoyé coucher ; mais, à travers le plancher, il avait entendu une longue discussion, et la voix du père Bernos, hachée, sanglotante, qui semblait implorer. Sans doute suppliait-il son beau-frère de ne pas l’égorger ! Mais le vieux Sourbets, qui avait été assez habile pour lui prêter d’abord quelques fonds, en prenant sur le moulin une bonne hypothèque, lui coupait brusquement les vivres. Le mettre en faillite pour racheter les bâtiments presque terminés un prix dérisoire, c’était une de ces opérations qui rapportent gros. Sans doute avait-il longuement préparé cette heure ! Maintenant que Germain le connaissait, il n’était pas dupe. Tant d’autres fois, le bonhomme avait joué cette comédie. Mais Bernos avait épousé sa propre sœur : c’était un homme confiant et crédule, un peu porté à s’illusionner. Non, non, avec lui, il n’aurait pas dû ; et une sorte d’instinct protestait chez le fils qui n’avait pas comme le vieux l’argent dans le sang.
Germain secoua la tête pour se délivrer de toutes ces images. « Est-ce ma faute ? Les histoires de la famille, cela ne me regarde pas ! » Non, assurément, ce n’était pas sa faute. Mais quelque chose de triste et de menaçant ne restait-il pas sur le moulin, comme dans les contes cette tache de sang sur une clé, que toute l’eau de la mer n’effacerait pas ; ou cette épouvante qui dilate, dans les vieilles Bibles, les yeux d’un homme à moitié nu qui s’enfuit en laissant derrière lui