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REINE D’ARBIEUX

Adrien s’arrêta surpris. Dans la cour où une charrette de paille était déchargée, Reine venait d’apparaître.

À peine remarqua-t-il le manteau trop lâche. Elle l’avait reconnu, s’avançait sans hésitation, tournant vers lui un visage aux traits amincis, revêtu de cet air à la fois doux et animé qui l’éton­nait à chaque rencontre, comme une chose unique, un charme vivant répandu sur elle et qu’on s’aper­cevait avoir oublié. Sous le feutre gris qui cachait son front, un peu d’émotion avivait ses yeux. Qui donc avait dit qu’elle était changée ? Les chagrins pouvaient la saisir, elle leur échappait, restant celle dont un battement plus vif du cœur ressuscitait soudain la jeunesse.

Déjà, à toutes les ouvertures, des figures la dévi­sageaient. Bien qu’elle n’eût fait à la papeterie qu’une ou deux visites, que Germain avait abrégées, il n’était personne qui ne la reconnût. Au premier étage d’un grand bâtiment, il y avait un remue-ménage : que venait faire la jeune maîtresse ? Un nouvel arrivant, dans une fabrique perdue au milieu des bois, est toujours une aubaine inespérée. La curiosité s’en empare. Mais combien le plaisir se trouvait plus vif puisqu’il s’agissait de Reine ! Elle était si agréable à voir ! Les gens disaient qu’elle n’était pas « fière ». Et puis aussi, quoique Germain fît bonne garde, et précisément à cause de son humeur sombre, des bruits couraient : on chuchotait que le ménage n’était pas heureux, et c’était un intérêt, une satisfaction, où bien des