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REINE D’ARBIEUX

Jusqu’au dîner, Adrien s’était enfermé dans sa chambre. Une lampe à pétrole éclairait sur la table un buvard ouvert ; il le visita minutieusement ; dans une des pochettes, une feuille de mauvais papier quadrillé était couverte d’une singulière écriture informe et tremblée. Il la dévora des yeux, retrouvant l’étrange volupté qu’il avait éprouvée en rédigeant à cette place la lettre ano­nyme. Mais quelle honte si une telle infamie était découverte : il jeta la page dans le foyer et la fit flamber.

« Eh ! quoi, pensa-t-il, qu’est-ce que je risque ? Qui pourrait croire que j’avais intérêt à nous dénoncer ? Tout le monde rabâchera que je lui ai pris cette femme parce que je l’aimais. » Comme si c’était par folie, ou par caprice, qu’une nature trempée comme la sienne déclenchait ses actes ! Mais sait-on jamais si l’on n’est pas dupe ? Une joie secrète faisait courir dans ses nerfs tendus à se rompre un frisson de fièvre. L’image de Reine hantait son esprit. Il se figurait son trouble, son état affreux, et la totale victoire où sa soif serait apaisée. Impossible de démêler quelle était la part des sentiments qu’elle lui inspirait ! Parfois, perdu dans une rêverie presque inconsciente, il jouissait de cette obsession féminine mêlée à sa vie : était-ce sa beauté qui le touchait, ou bien son âme, ce charme des êtres qui n’ont ici-bas cherché que l’amour ?

Il repoussa le buvard sur la table encombrée de livres, aperçut Dominique qu’elle lui avait rendu.