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REINE D’ARBIEUX

Une fille lui avait servi la soupe et des œufs sur une table griffée de coups de couteau. Il s’était assis au fond, en face de l’entrée ouverte, couvant de l’œil la longue ruche horizontale, couronnée du blême échafaudage de ses passerelles, qui émergeait dans le brouillard. Tout en lui était net et résolu. Il avait bu une bouteille d’un vin noir qui râpait la langue et chauffait le sang : une force animale le remplissait.

Les voitures chargées de malles — taxis, vieux coupés — se succédaient devant le hangar de la Compagnie Transatlantique. Quelques falots éclairaient la file estompée des gens qui montaient à bord : militaires, jeunes filles en manteau de voyage, surchargées de châles et de romans, coloniaux transportant des chaises pliantes, familles affairées. Entourés d’amis, qui les accompagnaient jusqu’à leur cabine, se répandaient sur le pont et dans les salons, les passagers prenaient d’assaut, avec un bourdonnement continu, cette citadelle pacifique, plantée droit dans l’eau, encore accostée au quai, mais débordante de lumière, sa double cheminée respirant un souffle de feu, et l’avant tourné vers les grands espaces invisibles, l’estuaire, le large, les nappes dansantes de l’Atlantique.

Dans ce brouillard où les figures se distinguaient mal, Sourbets se sentit mordu par la peur. Les affres de l’attente lui serraient la gorge. En pleine force, torturé, impatient d’en finir coûte que coûte, il redoutait que sa vengeance lui échappât. L’écou-