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REINE D’ARBIEUX

lutte finie, elle ne sentait plus que son épuisement. Ses forces l’avaient abandonnée. Il lui semblait revenir d’infiniment loin. À moitié route, elle avait même à deux ou trois reprises perdu connaissance. Ah ! dormir enfin ! Qu’allait-il encore arriver ? Son cœur battait, mais elle était prête, si on la repoussait, à s’étendre n’importe où pour mourir. Est-ce que c’était déjà le chêne, l’allée de sureaux, et ce roulement plus sourd des roues dans le sable ? Heureusement, elle avait de l’argent dans son sac ! Dès que le taxi serait parti, elle frapperait à la porte : elle ne mentirait à personne, on aurait pitié…

Mme de la Brèche n’avait pas entendu la voiture. Elle était dure d’oreille. D’autre part, comme beaucoup de femmes âgées, qui ne vivent plus que par la mémoire, cette réserve fidèle du cœur, elle était absorbée par ses souvenirs. Précisément, elle songeait à Reine. Lorsque Clémence avait été si longtemps malade, il lui était arrivé de jeter sur l’orpheline des regards d’envie. La présence de cette enfant belle et bien portante lui était pénible. De même, le jour du mariage, et quand elle l’avait revue chez les Dutauzin, gracieuse, élégante, entourée d’une rumeur flatteuse, elle avait souffert. C’était une mère !

Mais, à voir apparaître cette figure de morte, aux grands yeux brillants — la porte du salon venait de s’ouvrir, laissant entrer une bouffée d’air nocturne qui sentait la mousse et le bois — elle fut saisie.