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REINE D’ARBIEUX

sion qu’elle était touchée. Quelle louange l’eût flattée autant que l’air déférent qu’il avait pris vis-à-vis d’elle, comme s’il était pénétré en sa pré­sence de respect et d’admiration ! Déjà se dissipait l’impression défavorable que ce garçon lui avait causée. Timbre d’alarme à peine perceptible ! Lueur confuse jetée par un instant déjà dépassé ! Il y a dans la jeunesse altérée de bonheur une telle faculté d’imagination que les moindres marques de sympathie prennent aussitôt un prix singulier. Reine se sentait un peu grisée : embellir la vie, être belle, mots magiques qui changent pour une femme la couleur du monde. Il lui sembla que Bernos, dont elle savait vaguement la culture et l’in­telligence, discernait en elle quelque chose de précieux que les autres ne voyaient pas ; et elle savourait cette découverte, étourdie, non d’une parole qui aurait dû lui paraître la plus banale, mais du ton chuchotant et confidentiel qui lui causait un trouble indéfinissable.

Une jeune fille qui offrait des liqueurs se jeta entre eux.

— Cognac ou bénédictine ?

Des effluves montèrent du cornet fragile que Sourbets tint un moment pour le réchauffer dans sa main fermée. Pourquoi songeait-il à ces ortolans engraissés dans l’obscurité qu’il étouffait, chaque année, dans l’eau-de-vie ? Les derniers mots échan­gés par sa femme et Adrien lui avaient échappé. Il avait la tête très lourde. Les voix se perdaient d’ailleurs dans la rumeur joyeuse qui suit les repas