Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
130
L’HOMME DE COUR

CCXIV

D’une folie n’en pas faire deux.

Il est très ordinaire, après une sottise faite, d’en faire quatre autres pour la rhabiller ; l’on excuse une impertinence par une autre plus grande. La sottise est de la race du mensonge, ou celui-ci de la race de la sottise ; pour en soutenir une, il en faut beaucoup d’autres. La défense d’une mauvaise cause a toujours été pire que la cause même. C’est un mal plus grand que le mal même, de ne le savoir pas couvrir. C’est le revenu des imperfections, d’en mettre beaucoup d’autres à rente. L’homme le plus sage peut bien faillir une fois, mais non pas deux ; en passant, et par inadvertance, mais non de sens rassis.

CCXV

Avoir l’œil sur celui qui joue de seconde intention.

C’est une ruse d’homme de négociation, d’amuser la volonté pour l’attaquer ; car elle est vaincue dès qu’elle est convaincue. On dissimule sa prétention pour y parvenir ; on se met le second en rang pour être le premier dans l’exécution ; on assure son coup sur l’inadvertance de son adversaire. Ne laisse donc pas dormir ton attention, puisque l’intention de ton rival est si éveillée. Et si l’intention est seconde en dissimulation, il faut que le discernement soit premier en connaissance. C’est à la précaution de reconnaître l’artifice dont la personne se sert, et de remar-