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L’HOMME DE COUR

LXVI

Prendre bien ses mesures, avant que d’entreprendre.

Quelques-uns regardent de plus près à la direction qu’à l’événement ; et néanmoins la direction n’est pas une assez bonne caution pour garantir du déshonneur qui suit un succès malheureux. Le vainqueur n’a point de compte à rendre. Il y a peu de gens capables d’examiner les raisons et les circonstances, mais chacun juge par l’événement. C’est pourquoi l’on ne perd jamais sa réputation, quand on réussit. Une heureuse fin couronne tout, quoiqu’on se soit servi de faux moyens pour y arriver ; car c’est un art que d’aller contre l’art, quand on ne peut pas autrement parvenir à ce qu’on prétend.

LXVII

Préférer les emplois plausibles.

La plupart des choses dépendent de la satisfaction d’autrui. L’estime est aux perfections ce que les zéphyrs sont aux fleurs ; c’est-à-dire nourriture et vie. Il y a des emplois universellement applaudis, et d’autres qui, bien qu’ils soient relevés, ne sont point recherchés. Les premiers gagnent la bienveillance commune, parce qu’on les exerce à la vue de tout le monde. Les autres tiennent davantage du majestueux, et, comme tels, attirent plus de vénération ; mais, parce qu’ils sont imperceptibles, ils en sont moins applaudis. Entre les princes, les victorieux sont