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Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/49

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L’HOMME DE COUR

même, il ne faut jamais aller à pas une des extrémités. L’esprit même s’épuise à force de se raffiner. À vouloir tirer trop de lait, on fait venir le sang.

LXXXIII

Faire de petites fautes à dessein.

Une petite négligence sert quelquefois de lustre aux bonnes qualités. L’envie a son ostracisme, et cet ostracisme est d’autant plus à la mode qu’il est injuste. Elle accuse ce qui est parfait du défaut d’être sans défaut, et plus la chose est parfaite, plus elle en condamne tout. C’est un Argus à découvrir des fautes dans ce qu’il y a de plus excellent, et peut-être en dépit de ne l’être pas. Il en est de la censure comme du foudre qui, d’ordinaire, tombe sur les plus hautes montagnes. Il est donc à propos de s’endormir quelquefois, comme le bonhomme Homère, et d’affecter certains manquements, soit dans l’esprit, ou dans le courage (mais sans blesser jamais la raison), pour apaiser la malveillance, et empêcher que l’apostume de la mauvaise humeur ne crève. C’est là jeter sa cape aux yeux de l’envie, pour sauver sa réputation à jamais.

LXXXIV

Savoir tirer profit de ses ennemis.

Toutes les choses se doivent prendre, non par le tranchant, ce qui blesserait, mais par la poi-