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L’HOMME DE COUR

LXXXVI

Se munir contre la médisance.

Le vulgaire a beaucoup de têtes et de langues, et, par conséquent, encore plus d’yeux. Qu’il coure un mauvais bruit parmi ces langues, il ne faut que cela pour ternir la plus haute réputation ; et si ce bruit vient à se tourner en sobriquet, c’en est fait pour jamais de tout ce qu’un homme avait acquis d’estime. Ces railleries tombent d’ordinaire sur de certains défauts qui sautent aux yeux et qui, pour être singuliers, donnent ample matière aux lardons. Et comme il y a des imperfections que l’envie particulière étale aux yeux de la malice commune ; il y a aussi des langues affilées qui détruisent plus promptement une grande réputation avec un mot jeté en l’air, que ne font d’autres avec toute leur impudence. Il est très facile d’avoir mauvais renom, parce que le mal se croit aisément, et que les sinistres impressions sont très difficiles à effacer. C’est donc au sage à se tenir sur ses gardes, car il est plus aisé de prévenir la médisance que d’y remédier.

LXXXVII

Cultiver et embellir.

L’homme naît barbare, il ne se rachète de la condition des bêtes que par la culture ; plus il est cultivé, plus il devient homme. C’est à l’égard de l’éducation que la Grèce a eu droit d’appeler barbare tout le reste du monde. Il n’y