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L’HOMME DE COUR

CXXVIII

Le haut courage.

C’est une des principales conditions requises à un héros, d’autant qu’un tel courage l’aiguillonne à tout ce qu’il y a de grand, lui raffine le goût, lui enfle le cœur, relève ses pensées et ses manières, et le dispose à la majesté. Partout où il se trouve, il se fait passage : et lorsque l’iniquité du sort s’opiniâtre contre lui, il tente tout pour en sortir à son honneur. Plus il est resserré dans les bornes de la possibilité, et plus il veut se mettre au large. La magnanimité, la générosité, et toutes les qualités héroïques le reconnaissent pour leur source.

CXXIX

Ne se plaindre jamais.

Les plaintes ruinent toujours le crédit ; elles excitent plutôt la passion à nous offenser que la compassion à nous consoler ; elles ouvrent le passage à ceux qui les écoutent, pour nous faire la même chose que ceux de qui nous nous plaignons ; et la connaissance de l’injure faite par le premier sert d’excuse au second. Quelques uns, en se plaignant des offenses passées, donnent lieu à celles de l’avenir ; et, au lieu du remède et de la consolation qu’ils prétendent, ils donnent du plaisir aux autres, et s’attirent même leur mépris. C’est bien une meilleure politique de publier les obligations que l’on a aux gens, afin d’exciter les autres à nous obliger aussi. Parler